Mabi et usages dans les cultures amérindiennesArticle 6 sur 16 Consulter les esprits pour guérir ou décider

La religion des Amérindiens des Caraïbes.

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La religion des Amérindiens de Martinique et Dominique[1], ne plaçait pas l'homme au-dessus de la Nature mais parmi tout ce qui vit. L'au-delà s'organise autour de deux puissances antagonistes. L'une nommée Chemin, est un esprit bénéfique et protecteur. Chemin fait fructifier la nature, protège et guérit les hommes, sous réserve de respecter les êtres (plantes, animaux, humains) qui sont en son pouvoir. L'autre, Mabouya, perturbe les choses et maltraite les humains.

L'ambivalence de ces deux puissances, l'une visage inversé de l'autre, ressort du mélange de vénération et de crainte qu'elles inspirent aux Amérindiens. La description qu'en donne l'Anonyme de Carpentras vaut par sa concision et sa clarté[2]:

"Nos Indiens nomment le diable en deux façons, à savoir Chemin et Mabouya. Chemin est celui, disent-ils, qui fait croître toutes leurs racines et fruits de la terre, qui les conserve sur la mer et les préserve d'être pris de leurs ennemis; qui les guérit, étant malades et qui les avertit de l'arrivée des navires et plusieurs autres bonnes croyances qu'ils ont en lui.

Mabouya est celui qui les bat et tourmente, qui les fait être balibir, c'est-à-dire furieux et démoniaques [sous l'emprise de l'ivresse en particulier], et qu'après Chemin vient les guérir, car il leur fait accroire que ce n'est pas lui qui les a ainsi battus, mais que c'est Mabouya ou le Chemin[3] ou un de leurs ennemis et que lui est venu pour les guérir (car ils croient que chacun en particulier, jusqu'aux petites feuilles d'arbres, ont leur Chemin en particulier qui les fait croître), qui est la principale cause, pour laquelle ils craignent de se déplaire l'un à l'autre pour n'être battus par Chemin de celui à qui ils auront déplu. Et combien qu'ils aient quelque bonne croyance audit Chemin, néanmoins ils le craignent plus qu'ils ne l'aiment, comme nous l'avons reconnu beaucoup de fois en leurs actions et paroles, et vu bien souvent qu'ils s'en allaient loin d'un logis où ils savaient que ledit Chemin y était, ou n'y allaient qu'à regret s'ils étaient contraints d'y entrer et, s'il lui fait le moindre déplaisir, il le menace de le faire battre par ledit Mabouya qui est lui-même, et qu'après Il ne le viendra pas guérir, et se fait si bien honorer que outre une infinité de superstitions." (Anonyme de Carpentras, 1618-1620, éd. Moreau 2002, 176-177).

 


[1] Nous nous en tenons aux 2 îles décrites par l'Anonyme de Carpentras.

[2] Si on y retranche le recours au démoniaque pour expliquer des pratiques religieuses différentes des rites catholiques, une "interprétation" courante au 17ème siècle ou une manière d'écrire pour passer la censure imposée par l'Eglise sur tout qui se publiait. Le manuscrit de l'Anonyme de Carpentras est d'ailleurs resté enfermé dans une bibliothèque privée.

[3] Le texte est ici incompréhensible. Chemin désigne à la fois un esprit, comme Mabouya, et un intervenant humain "qui fait accroire", un sorte d'interprète. J-P. Moreau, l'éditeur du texte, a relevé l'absence surprenante du chamane amérindien dont les chroniques postérieures, par exemple le R. P. Jean de la Mousse, signale dès 1684 l'importance dans les pratiques religieuses (De la Mousse Jean 1684, Relation du second voyage du père Jean de la Mousse chez les Indiens de la rivière de Sinnamary, l'an 1684, Chandeigne éd. 2006). C'est peut-être lui qui se cache derrière le double rôle joué par "Chemin".

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