Article 1 sur 16 Bière-mabi et domestication de la patate douce

Le Mabi, une bière de patate douce des Caraïbes et des Guyanes.

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L'histoire du mabi est exemplaire d'une bière ancestrale brassée par les Amérindiens des Caraïbes et des Guyanes, d'abord adoptée par les colons européens, puis méprisée et plus tard oubliée. Ce destin fut celui de nombreuses bières amérindiennes (chicha, cachiri, teswin, nijiamanch, caouin, etc.).

Le Mabi est une très ancienne bière que les Amérindiens des Caraïbes et des Guyanes buvaient bien avant l'arrivée des colons européens vers 1500.

Son nom dérive de mapi/nap'i qui désigne la patate douce dans les langues amérindiennes des Caraïbes et des Guyanes. Le terme est générique : mapi/napi = Patate en général ou toutes les sortes de patates. Les Amérindiens, dans la richesse de leurs langues, ont un nom pour chaque sorte ou variétés de patates, tenant compte des multiples usages qu'ils en ont.

La Patate a une place centrale, à côté des autres tubercules amylacés domestiqués par les Amérindiens (maniocs, ignames, pomme de terre), dans leur répertoire culinaire et pharmaceutique qui inclut plusieurs sortes de boissons, fermentées ou non. Ces plantes ont été domestiquées il y a plus de 4000 ans. Une agriculture sur abattis/brûlis leur a permis de planter et déraciner les précieuses sources d'amidon.

Les bières de type mabi ont hérité leur nom du vocable amérindien nommant la Patate dans l'ancienne aire culturelle caraïbe et guyanaise. Si la domestication de la Patate est ancienne, il serait imprudent de supposer que les bières de patate le sont aussi. Il ne fait aucun doute que les Amérindiens brassaient ce type de bière plusieurs siècles avant l'arrivée des Européens, si l'on s'en tient à la diversité de leurs méthodes de brassage décrite par les premiers colons.

Le peuplement de ces régions remonte à 2500 av. n. è. (Surinam), mais les recherches archéologiques ne livrent presque aucune information sur la vie matérielle des Amérindiens. Seules des jarres funéraires relativement récentes présentent des formes semblables à celle des jarres de fermentation des bières de manioc ou de patate douce.

 

Nous décrivons d'abord comment le mabi était et est encore brassé et consommé dans les cultures amérindiennes. Cet article tente de comprendre la place et le rôle spécifiques de cette sorte de bière parmi les autres boissons fermentées : bières de manioc, bières d'ignames, vin de bananes et autres fruits, vin de sucre de canne.

Nous examinons ensuite la façon dont les bières amérindiennes de type "Mabi" ont été adoptées par les européens qui fréquentaient les îles caraïbes et les côtes guyanaises au 16ème siècle. Certains procédés de brassage ont été copiés par eux puis transformées au gré de leurs besoins et des habitudes culturelles de leur pays d'origine. C'est la période des premiers contacts et d'une coexistence relativement pacifique, si l'on met de côté les massacres perpétrés par les Espagnols et les épidémies apportées par les Européens. Les colons éprouvent de grandes difficultés pour s'adapter aux pays (son climat, son agriculture, la guerre larvée entre puissances européennes). Leurs petites communautés ont besoin des Amérindiens pour survivre, apprendre à cultiver et chasser. La bière-mabi est bienvenue et adoptée sans arrière-pensée.

Le siècle suivant change la donne. Les territoires indiens insulaires des Caraïbes, des Grandes et Petites Antilles ne sont plus à partager avec leurs habitants mais à conquérir. Les colons continuent de manger et boire selon les habitudes locales, mais les boissons fermentées se transforment et se différencient. Le mabi n'échappe pas à ces évolutions.

A compter du 18ème siècle, le mabi est presque exclusivement réservé aux noirs, aux créoles pauvres et aux "petits blancs" ruinés des zones rurales. Un clivage social s'opère entre les propriétaires terriens et les plus pauvres. La bière-mabi ne tarde pas à devenir aux siècles suivants une boisson marginale, marque des déclassés et des plus pauvres parmi les pauvres.

De nos jours, le nom a survécu, surtout dans les Iles des anciennes colonies britanniques et certains pays d'Amérique Centrale. Mais il désigne une boisson excitante à base d'écorces et plantes dites "bois-maby". Le souvenir de son origine amérindienne s'est effacé.

L'histoire du mabi est exemplaire des boissons fermentées hautement valorisées dans les cultures amérindiennes, adoptées sans réserve par les premiers européens, puis peu à peu déclassées par les eau-de-vie importées d'Europe dans les cales des navires avant de pouvoir être distillés sur place (rhum et tafia) grâce au système des plantations coloniales de canne à sucre.

 

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