Pour illustrer la mise en œuvre des voies du brassage parmi les peuples anciens, nous restons tributaires de leurs documents et vestiges plus ou moins lacunaires. La description des procédés techniques y sont rares. Les travaux des archéologues, des ethnologues ou des biochimistes complètent nos connaissances.
Malgré ces handicaps, il est possible de reconstituer le paysage technique de la Brasserie dans l'antiquité, à travers la grille des "6 voies du brassage".
Le monde des anciens peuples brasseurs se découpe en grandes régions, selon le critère de traditions brassicoles homogènes. Chaque bassin brassicole se forme de manière indépendante. Il existe à la surface du globe autant de foyers anciens de la brasserie que d'aires primaires de domestication des plantes amylacées.
Nous voulons savoir si chacun de ces bassins brassicoles a lui-même pratiqué une ou plusieurs méthodes prises parmi les 6 voies du brassage.
Le tableau montre que chaque aire maîtrise plusieurs méthodes ou les a pratiqué dans le passé. L'idée d'une spécialisation technique de chaque aire brassicole doit être abandonnée. Au fil de son histoire, chacune a testé, développé, perfectionné plusieurs techniques de base de la brasserie. Nous parlons ici des méthodes fondamentales, pas du détail des opérations pratiques.
Voie du Brassage |
N° 1 |
N° 2 |
N° 3 |
N° 4 |
N° 5 |
N° 6 |
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Amylase salivaire |
Ferment amylolytique |
Maltage |
Plante amylolytique |
Sur-mûrissement |
Hydrolyse acide |
Chine-Corée-Japon |
X |
X |
X |
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Asie du sud-est |
? |
X |
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X |
X |
Asie centrale |
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X |
X |
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Inde-Pakistan |
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X |
X |
? |
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Pacifique |
? |
X |
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X |
Proche-Orient |
? |
? |
X |
? |
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Afrique est |
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X |
X |
X |
X |
X |
Afrique ouest |
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X |
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Amérique du sud |
X |
X |
X |
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X |
X |
Amérique centrale |
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X (Mexique) |
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Europe * |
X |
? |
X |
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X |
(*) L'Europe n'est pas un foyer de domestication primaire de plantes amylacées.
Au fil des siècles, certaines aires brassicoles ont spécialisé leur brasserie en éliminant peu à peu les autres voies du brassage, selon un phénomène de sélection historique. La voie n° 1 (amylase salivaire) a survécu, mais de manière marginale, sauf dans le bassin brassicole amazonien où elle répond à la fois aux contraintes techniques (bière de manioc) et aux modes de vie. Vers la fin de la dynastie chinoise des Han (2ème siècle), la voie n° 3 du maltage du millet et du blé disparaît progressivement en Chine du nord où ne subsistera que la voie n° 2 du ferment amylolytique. Une évolution similaire se produit dans la vallée de l'Indus vers -1300. La riziculture remonte la vallée du Gange et supplante l'ancienne céréaliculture (orge) de la vallée de l'Indus. Les anciennes bières d'orge à base de malt sont remplacées par des bières d'orge et de riz brassées avec des ferments amylolytiques.
Si chaque aire brassicole maîtrise ou a maîtrisé au cours de son histoire plusieurs "voies de brassage", en tenant toujours compte des documents disponibles, ne peut-on supposer qu'à l'origine chacune d'elle les connaissait toutes ?
C'est ce que nous baptisons "Hypothèse du tronc technique commun de la brasserie".
Les cases restées vides dans le tableau s'expliqueraient non par l'ignorance ou le rejet de certaines méthodes, mais par l'absence de documents pérennes (culture orale), le mutisme des traditions écrites indifférentes aux savoir-faire de la vie quotidienne, ou la destruction massive des cultures, à l'exemple de ce que les européens ont commis en Amérique du Sud et centrale. Mais du défaut supposé d'informations, on ne peut tirer aucun argument dans un sens ou l'autre.
Le "tronc technique commun de la brasserie" reste une hypothèse de travail. Elle postule :
[1] Les 6 voies du brassage ne sont pas toutes indépendantes des sources d'amidon. La voie n° 2 «GERMINATION des GRAINS ou MALTAGE» ne se pratique qu'avec les céréales. La germination des grains est rapide (6-8 jours en moyenne). Les paramètres physiques qui conditionnent le métabolisme du grain sont simples et contrôlables : eau, température extérieure, oxygène (aération). Ce procédé appliqué aux germes des tubercules – possible en laboratoire – ne serait pas viable à grande échelle.