La problématique générale.Article 2 sur 18 Les Indiens nord-américains et la bière ?
Victis Mousse de roche Bled d'inde (Codex canadensis p. 24 Louis Nicolas 1675)
Vigne sauvage, mousse de roche et maïs (Codex Canadensis p. 24, Louis Nicolas 1675)

L’histoire générale des boissons fermentées, en particulier celle de la bière, postule que la brasserie apparaît et se développe pendant la protohistoire des sociétés humaines quand trois facteurs majeurs sont réunis : une technologie alimentaire fondée sur les plantes amylacées (agriculture/horticulture, cuisine et techniques associées), une structure sociale en voie de hiérarchisation et de segmentation (producteurs, classe dirigeante/guerriers, spécialistes des rites), enfin un complexe religieux associant les plantes alimentaires, les esprits responsables de leur croissance cyclique et la survie de la communauté.

Tel est le cadre global qui explique l’émergence de la bière comme boisson fermentée principale parmi toutes les sociétés anciennes de la Terre depuis presque 10 millénaires. Toutes ?

Ou presque. Les sociétés amérindiennes d’Amérique du Nord semblent sortir de ce cadre explicatif, sauf les Anciens Pueblos et les sociétés sédentaires similaires du Sud-ouest américain. Le maïs et les tubercules (manioc, patate douce) sont devenus des plantes alimentaires principales vers les 8ème-10ème siècles dans la région du Mississippi. Certaines espèces de chénopodes, le caroubier le sont déjà avant cette période. A cette même époque, la hiérarchisation des sociétés amérindiennes est attestée par la construction de tertres cérémoniels ou d’habitats réservés à une élite dirigeante dans cette même région du Mississippi et dans la région des Appalaches. Et pourtant, aucunes traces de bière à base de maïs, d’autres graines ou de tubercules dans des contextes religieux ou de la vie quotidienne. Comment l’expliquer ?

Cette « exception » nord-américaine nous force à réexaminer les trois facteurs fondamentaux énumérés ci-dessus.

1ère hypothèse : les plantes amylacées n’ont pas été cruciales dans la survie des sociétés amérindiennes. L’abondance de gibiers et la collecte de plantes sauvages sont restées des alternatives viables après le 10ème siècle. La fermentation alcoolique des fruits sucrés est connue dans la quasi-totalité de l’Amérique du Nord avant l’arrivée des Européens. Le problème soulevé concerne la bière et sa fabrication régulière, c'est-à-dire le brassage de ressources alimentaires cultivées et non simplement cueillies parmi les plantes sauvages pour quelques brassins occasionnels. La bière n’est pas devenue une boisson fermentée autonome parce que le maïs ne s’est pas imposé comme une source alimentaire presque exclusive au sein des sociétés nord-amérindiennes.

2ème hypothèse : la hiérarchisation des sociétés nord-amérindiennes n’était pas aussi structurante ou avancée qu’on le pense. La migration de groupes humains rendue possible par une faible densité démographique, la coutume des adoptions par un autre clan, ou d’autres mécanismes ont fait contrepoids à la coercition sociale. Le complexe culturel du Mississippi n’aurait jamais atteint un stade irréversible d’accumulation de richesse et de pouvoir politique par une minorité, comme en Amérique du Sud, au Mexique, en Asie ou en Europe.

3ème hypothèse : les représentations religieuses n'ont pas conféré aux plantes alimentaires un rôle aussi central qu’en Amérique centrale ou andine. Le tabac et les plantes psychotropes ont servi de medium pour générer des états collectifs de conscience modifiée, pour gérer les conflits sociaux, et non les boissons alcooliques. Les sociétés nord-amérindiennes ont contrôlé le plus étroitement possible les comportements collectifs et les désordres liés à l'ivresse alcoolique, rejetant la consommation des boissons fermentées dans la sphère du comportement individuel. Ce mode de consommation ne devient majoritaire qu'avec la colonisation européenne qui délite rapidement les structures sociales amérindiennes.

4ème hypothèse : les trois processus protohistoriques combinés (plantes amylacées, structure sociale, complexe religieux) ne sont pas suffisants pour expliquer l’émergence ou l’absence de la bière dans tel ou tel contexte protohistorique. Cette équation est incomplète. Il nous manque un ou plusieurs termes. Le(s)quel(s) ? C’est la question.

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