L'évolution des bassins brassicoles.

 

Plusieurs périodes-clé de l’histoire humaine bouleversent ces bassins brassicoles, par le biais des échanges et emprunts techniques ou celui des évolutions culturelles. L’adoption de nouvelles plantes ou de méthodes agricoles modifient les procédés de brasserie. L’intégration de plusieurs bassins brassicoles dans de vastes ensembles économiques et culturels (empires, confédérations) modifient le rôle social des boissons fermentées (Premiers Royaumes et Premiers Empires). Enfin, l’essor des 5 grandes religions instaure de nouveaux comportements collectifs à l’égard des boissons fermentées, principalement la bière qui est la plus répandue.

Le tableau suivant énumère quelques exemples de périodes ou d'évènements historiques-clé pour l'évolution des bassins brassicoles (non exhaustif) :

 

Périodes

Evènements / Evolution

Conséquences sur les bassins brassicoles

-1300 à -500

Arrivée des Aryas dans la vallée de l’Indus. Conquête/assimilation des tribus gangétiques.

Contact entre l’Ouest du sous-continent indien (bières d’orge-blé-millet du bassin brassicole de l’Indus) et l’Est (bières de riz du bassin brassicole Gange/Bengale).

1er millénaire av. n. ère

Echanges Asie centrale ⇔ Inde ⇔ Chine

Propagation de la technique du ferment amylolytique ?

1er millénaire av. n. ère

Routes de la soie par l’Asie du Sud-Est et l'Inde

Le riz arrive au Proche Orient, avec lui les bières de riz

-206 à +220

Unification Chine du Nord et du Sud (dynastie Han)

Convergences des traditions brassicoles du Nord et du Sud de la Chine.

Empires grec et byzantin

Contacts Orient ⇔ Occident

Jonction des vinicultures méditerranéenne et perse, recul de la brasserie au Proche-Orient.

Empire romain

Contact romains ⇔ peuples nordiques

Viniculture romaine et brasserie des peuples germains et nordiques.

4ème – 9ème siècles

Christianisation des peuples européens du Nord

Vin sacramentel, la bière bannie du domaine sacré (bière = « boisson païenne »)

374-468

Europe orientale et centrale envahie par les Huns

Influence des produits fermentés des peuples nomades (lait/bière/hydromel) sur les bières européenne (hydrolyse acide de la bière)

632

Mort de Mahomet, expansion rapide de l'Islam

Interdiction religieuse de toute boisson fermentée au Proche-Orient, en Perse et en Afrique du Nord. Résilience des bières faiblement fermentées

7ème siècle

Conquête musulmane de l’empire sassanide. La « Route de la soie » contourne l’ancienne Perse par le Nord.

Contacts directs Chine ⇔ Asie centrale ⇔ Europe orientale

Empire mongol (1206-1360)

« Pax mongolica »

Echanges Chine ⇔ Asie centrale ⇔ Europe.

Les 4 boissons fermentées des Khans : koumiss, bière de riz, hydromel et vin de raisin.

15-16è siècles

Colonisation européenne des peuples amérindiens

Chute des empires Aztèque et Inca.

Maïs et manioc introduits en Afrique dans les bières africaines, puis européennes.

Pomme de terre, source de fécule bon marché. Brasserie et distillerie en Europe.

Choc culturel de la christianisation. Bières traditionnelles amérindiennes refoulées et cataloguées comme "boissons païennes"

Empire Moghol (1526-1858)

Conquête de l’Inde

Culture impériale indo-persane et islamique. Vin à la cour, bière à la campagne. Syncrétisme religieux.

A partir du 15è siècle

Trafic maritime international :

Atlantique Océan indien ⇔ Pacifique

Les plantes vivrières amylacées voyagent dans le monde entier. Maïs et manioc sont cultivés en Afrique et en Europe et modifient les schémas de brassage de ces deux continents.

Contacts directs Europe ⇔ Asie

A partir du 17è siècle

Exploitation agricole directe des colonies en Afrique et en Amérique. Commerce triangulaire et système esclavagiste atlantique

Plantations coloniales de canne à sucre, palmiers, maïs, manioc, etc. Le sucre abonde en Europe : la distillation de l'alcool devient une industrie.

Les alcools européens (gin, rhum, eau de vie de fécule de pomme de terre ou manioc) inondent le monde entier.

A partir du 18ème siècle

Révolution industrielle en Europe

Brasserie industrielle et scientifique.

Disparition progressive des bières locales.

Fragmentation du bassin brassicole « Europe» avec marginalisation des bières acidulées d'Europe orientale et de Russie.

A partir du 19ème siècle

Puissances coloniales européennes et leurs empires : Afrique, Inde, Chine, Indochine et Indonésie, Amériques.

Puissance coloniale japonaise

Invention de la Brasserie coloniale. La bière industrielle est produite sur place (Amérique du sud, Chine, Afrique). Idem avec le saké dans les colonies japonaises du Pacifique.

Marginalisation des bières autochtones avec campagnes commerciales de dénigrement.

Quelques périodes-clés de l'évolution des bassins brassicoles dans  le monde.

 

Le Tableau met en avant les bouleversements politiques, les migrations de peuples et les invasions violentes. Les traditions locales et les bassins brassicoles sont aussi modifiés par des chaînes d’évènements qui se déploient dans la longue durée. L'implantation et la culture de nouvelles plantes alimentaires sur un continent ont des effets de très longue portée. Les grands échanges transcontinentaux désignent les déplacements à l'échelle planétaire de produits au sens large (des matières premières jusqu'aux produits transformés), de personnes, de techniques et de connaissances. Ces échanges sont permanents. Repérer leurs conséquences sur les traditions brassicoles exige des études d’envergure qui dépassent le cadre de cette histoire générale. Là encore, nous ne livrons que quelques exemples pour fixer les idées. Des articles doivent développer chaque sujet.

 

Exemples d’échanges par les voies maritimes :

  • Les contacts répétés entre la Chine et l’archipel nippon à partir des Hans introduisent de nouvelles méthodes de brassage du riz au Japon.
  • Les marchands arabes commercent dans l’océan indien à l’aube du 1er millénaire. Le vin de palme (boisson fermentée du Sindh et du Kerala) est-il d’origine proche-orientale ou autochtone ? La sève de palmier et les dattes servent à édulcorer la bière.
  • Les marchands indiens fréquentent les côtes de l’Afrique Orientale. Des populations du bassin du Zambèze disposent d’une technique de brassage (ferment amylolytique) qui n’a pas d’équivalent dans toute l’Afrique. Est-elle une invention africaine ou a-t-elle été apportée par des populations indiennes ?
  • La Chine des Ming (1368-1644) explore les mers du Sud (Indonésie, Océan Indien) pour étendre sa zone de commerce, entre le 14ème et 15ème siècle. Soies et porcelaines chinoises inondent les côtes de l'océan Indien, depuis le Timor jusqu'aux côtes africaines. La question se pose de leur influence sur la fabrication et la consommation des boissons fermentées traditionnelles, notamment à Java et en Malaisie.
  • Au 14ème siècle, l'Europe cherche une nouvelle route des Indes. On explore la côte africaine, avant de contourner l'Afrique par le sud. Les plantes des Indes orientales arrivent en Europe, la canne à sucre en particulier.
  • L'autre voie, par l'Ouest, est ouverte en 1492. Le commerce maritime cède la place à la logique de conquête territoriale. Les plantes américaines introduites en Afrique par les Espagnols et les Portugais dès le 16ème siècle, modifient les techniques africaines traditionnelles de brassage. Le maïs, le manioc, les ignames sont adoptés comme matière première de brassage, avec leurs techniques de préparation et certaines techniques de brassage.
  • En retour, le contact entre Amérindiens et Européens introduit sur le sol américain des boissons inconnues (vin de raisin et alcool distillé) et de nouveaux types de bières brassées par les colons.

 

Exemples d’échanges par les voies terrestres continentales :

  • Bassin du Nil aux 4ème-3ème millénaires : axe d’échange entre la brasserie africaine (Nubie, Ethiopie, Soudan) et la brasserie d’Asie mineure (Syrie, Palestine, Mésopotamie).
  • Routes marchandes entre la Chine du Sud et le monde indien via la Birmanie.
  • Réseau routier andin de l’empire Inca : brassage des bières de maïs et politique impériale de communication sur 3000 km de long.
  • Les trois « Routes de la Soie » à travers l’Inde ou l’Asie centrale.
  • Les pistes sub-sahariennes du Nil à Tombouctou par lesquelles échangent les royaumes africains soudanais.
  • Les échanges par le plateau tibétain entre les peuples nomades mongols (lait fermenté) et les royaumes himalayens (bières d’orge).

 

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25/02/2013  Christian Berger