Confectionner de la bière, c'est convertir l'amidon en boisson fermentée.

 

L'amidon est une matière première d'origine végétale. Une grande variété de plantes produisent de l'amidon qui sert de réserve énergétique. Depuis des millnaires, les humains ont détourné à leur profit cette extraordinaire capacité de stockage énergétique des végétaux pour brasser leurs boissons fermentées favorites, d'où la multitude des sortes de bière à la surface du globe.

Granule d'amidon, 5 à 100 microns

 

L'amidon est un polysaccharide, une macromolécule constituée de longues chaînes de sucres simples (glucoses, maltoses, etc.), plus ou moins ramifiées. Ces brins microscopiques sont repliés, à l'état naturel, sous forme de granules. Une chaîne d'amidon de céréale relie environ 104 sucres simples, et l'albumen d'un grain d'orge, de blé, de mil, de riz ou de maïs renferme des milliers de ces granules d'amidon. Les tubercules de manioc, d'igname, de taro, patate douce et pomme de terre en contiennent des millions. Les akènes (fruits secs à coques protectrices : châtaignes, marrons, quinoa, sarrasin, amaranthe, etc.) sont également riches en amidon. Le fruit du caroubier également. Certaines plantes stockent de l'amidon dans leurs racines ou leur système végétatif (stipe du palmier sagoutier par ex.). La banane plantain est un fruit amylacé très riche (20% à 30% d'amidon).

Chaque fois que les plantes réclament de l'énergie pour leur croissance ou leur reproduction (graines, tubercules), elles stockent sous forme d'amidon l'énergie chimique et photochimique accumulée pendant leur cycle végétal. Le principe est invariant : la dégradation enzymatique de l'amidon libère les sucres que la graine, le tubercule, le système racinaire ou le bourgeon apical d'un palmier utilise pour alimenter le germe ou le bourgeon quand ces derniers se développent.

D'autres familles de macromolécules à fort potentiel énergétique se rencontrent dans le règne végétal : huiles, mucilages, etc. Sans oublier les sucres simples et naturels des fruits et tiges sucrières. Avec ces derniers, le monde végétal explore une stratégie inverse de celle signée par l'amidon : stockage non-durable d'énergie biochimique dans un milieu biochimiquement instable (hydraté) de molécules fermentescibles (fructoses et glucoses sont directement assimilables par les levures, avec ou sans oxygène).

Il y a 15 à 10.000 ans, l'espèce humaine a repéré ce formidable potentiel énergétique d'origine végétale : l'Amidon merveilleux, riche, stockable et biochimiquement stable. Exploité à des fins alimentaires, l'amidon est devenu le socle des nourritures solides et liquides pour la majorité des populations humaines de la planète. Cette évolution fondamentale a été renforcée par les premiers agriculteurs. En diverses régions du globe, des populations humaines ont basculé vers la culture des céréales ou le repiquage des tubercules. En abandonnant peu à peu un mode de vie intégralement fondé sur la cueillette et la chasse, ces groupes humains ont misé sur l'amidon – principalement – pour garantir leur subsistance tout au long de l'année. Le pain et la bière sont virtuellement nés à cet « instant », dont il faudra néanmoins préciser la date !

Les conséquences humaines, techniques et planétaires d'un tel pari sur – a) l'amidon (céréales et tubercules), b) les plantes vivrières (jardinage et arboriculture), c) la viande vivante et reproductible (élevage) – ne sont pas encore épuisées à ce jour.

Avant le choix des hommes, ce sont donc les stratégies déployées par le règne végétal pour stocker, conserver et utiliser l'énergie biochimique qui séparent la bière et le vin[1].  La fermentation alcoolique de ces 2 catégories de boisson – même si elles passent in fine par le même métabolisme levurien – repose sur 2 matières premières d'origine végétale et de structure chimique différentes.

D'un côté, les jus de fruits saisonniers et périssables, mais disponibles et assimilables sans effort. La simplicité de fabrication des premiers vins semble évidente : fermentation alcoolique spontanée de jus naturels au jardin d'Eden. Ni travail, ni intelligence pour jouir d'une ivresse offerte par une nature ayant pourvu à tout : l'eau, les sucres, l'acidité, les levures et une température propice.

De l'autre côté, Seigneur Amidon, potentiellement riche en sucres, stockable, mais combien difficile à transformer. La cellule de la levure ne sait pas assimiler une si grosse molécule : sa taille lui interdit de franchir une quelconque paroi cellulaire. De plus, la plupart des levures ne disposent d'aucun complexe enzymatique capable de couper l'amidon en molécules de glucose.

La décomposition des chaînes d'amidon doit donc être réalisée avant ou pendant le travail de la levure, soit par voie biochimique soit par voie chimique. Pour fournir aux levures les sucres nécessaires à la fermentation alcoolique, l'amidon brut doit subir plusieurs opérations :

  •   Mouture des grains (céréales, graminées, autres sources de graines amylacées) / Epluchage-râpage des tubercules (manioc, igname, taro, pomme de terre, etc.) ou moelle amylacée (palmier sagoutier) / Décorticage des fruits secs (). Cette étape est exclue si on fait germer les grains (voie n° 2).
  •   Trempage prolongé ou cuisson pour faire éclater les granules d'amidon. Dépliées, les longues chaînes d’amidon peuvent subir une hydrolyse. Le mélange farine + eau forme un empois. Cette étape est exclue si on fait germer les grains (voie n° 2).
  •   Décomposition des chaînes en sucres par l'action d'enzymes spécifiques (classe des hydrolases) ou l’action d'un milieu chimique acide. Cette étape technique indispensable est au cœur des procédés de la brasserie. Elle caractérise le cycle technique de la bière et sert de pivot à sa définition.
  •   Un concassage des grains de malt si on a fait germer les grains (voie n° 2).

 

Il existe 6 méthodes pour hydrolyser l'amidon, quelles que soient son origine et sa préparation. Aussi loin qu'on puisse remonter dans l'histoire de la bière et de la brasserie, ces 6 voies ont été pratiquées et le sont de nos jours. Les 5 premières voies sont dites « enzymatiques » : elles utilisent des enzymes présentes dans la salive humaine ou animale (ptyaline), les graines de céréales (amylases), les champignons ou les moisissures, les tubercules ou les autres sources naturelles d'amidon. La 6ème voie est purement chimique.

 

Voie n° 1 = insalivation d'une pâte amylacée

Voie n° 2 = germination des grains de céréales

Voie n° 3 = culture de champignons amylolytiques

Voie n° 4 = plantes à complexes amylolytiques

Voie n° 5 = sur-mûrissement des fruits amylacés

Voie n° 6 = hydrolyse acide d’un empois d'amidon

 

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[1] Il existe une 3ème catégorie de boisson fermentée : l'hydromel. L'accumulation d'énergie sous la forme de concentré de sucres, le miel, appartient pour l'essentiel au monde animal, même si la chaîne alimentaire des abeilles ou guêpes mellifères débute, comme toujours, par un produit du monde végétal. Les boissons fermentées alcoolisées à base de lait appartiennent à un 4ème groupe. Bien que ces boissons fermentées soient très différentes des bières, la fermentation lactique qui fait partie du processus a joué un rôle technique dans le brassage de la bière, contribuant principalement à la voie de brassage acide n° 6, lorsque les éleveurs et les agriculteurs ont maintenu une étroite coopération dans le passé.  

01/04/2013  Christian Berger