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Les bières traditionnelles du Bhoutan et la confection des ferments amylolytiques.

 

Etude de 65 pages sur les bières traditionnelles du Bhoutan, leurs méthodes de brassage, leur rôle économique et social, avec un aperçu de leur histoire et une comparaison avec les bières traditionnelles du nord de l'Inde.

  • Le brassage de la bière avec des ferments à bière naturels végétaux est un trésor technique et culturel du Bhoutan.
  • La confection des ferments à bière est décrite dans le détail.
  • Vidéo montrant les étapes de cette technique de brassage.
  • Le brassage de la bière chang avec ces ferments. Différence entre les bières bang-chang et sing-chang.
  • La distillation de la bière pour faire de l'alcool ara.
  • Le rôle de la bière et de l'alcool dans la vie sociale et religieuse des Bhoutanais(es).
  • La "bière de l'illumination" dans la tradition bouddhiste tibétaine et bhoutanaise.
  • La place de la bière dans l'histoire du Bhoutan ancien.

 

Ch.Berger. Le brassage à la bhoutanaise - 2019.pdf

 

Résumé :

Le Bhoutan, royaume grand comme la Suisse, coincé sur les contreforts de l’Himalaya entre deux géants, l’Inde et la Chine, recèle beaucoup de trésors, les uns cachés, les autres offerts au regard de tous. Parmi ces derniers : les Trois Joyaux du bouddhisme , le Bonheur National Brut, et une façon spéciale de brasser la bière traditionnelle du Bhoutan, le chang. Rapprocher religion, économie et boisson fermentée semble sinon malvenu du moins déconcertant. Voyons de plus près.

Depuis l’invasion du Tibet par la Chine en 1950, le Bhoutan est devenu l’un des refuges du bouddhisme mahayana dans sa version tibétaine.  Tibet et Bhoutan partageaient depuis le 9ème siècle une histoire politique et religieuse commune, complémentaire et conflictuelle en même temps . Le bouddhisme est religion officielle au Bhoutan.

Le Bonheur National Brut est un concept élaboré au Bhoutan pour fonder la mesure des indicateurs nationaux sur quatre axes : 1) Développement durable/équitable 2) Protection de l’environnement 3) Promotion de la culture 4) Bonne gouvernance .

Les Bhoutanais(es) produisent et boivent leur bière dans le contexte domestique des villages ruraux, au cœur des petits champs de céréales et des rizières. Ils font ainsi depuis des siècles. Les brasseuses du Bhoutan disposent d’un savoir-faire hérité des peuples de l’Himalaya. Des plantes bien particulières pour produire les ferments, des céréales, de l’eau, du bois pour chauffer et quelques récipients, voilà le nécessaire pour brasser de la bière. Et un savoir-faire très précis, transmis de mère en fille, pour maîtriser la confection délicate des ferments sur lesquels repose tout le brassage du chang , la bière domestique du Bhoutan.

La confection des ferments à bière est un véritable trésor technologique. La brasseuse bhoutanaise n’emploie ni levures, ni malt industriel, ni houblon, ni adjuvants alimentaires, ni produits chimiques. Seulement des plantes de son environnement montagnard et forestier (fleurs, feuilles, écorces et racines séchées) et des céréales cultivées (orge, blé, sarrasin, éleusine, riz, maïs). Tout le secret est dans la composition et la confection des ferments que nous détaillons plus bas. Un trésor apparenté à une biotechnologie des ressources végétales du pays. Cultiver des champignons microscopiques aux pouvoirs étonnants est un savoir-faire plus complexe qu’il n’y paraît.

Confection des ferments à bière (phab) dans une ferme près de Punakha (centre du Bhoutan) en 2019. La brasseuse explique les étapes de ce procédé traditionnel préservé au Bhoutan. Les ferments à base de champignons amylolytiques (ils convertissent l'amidon en sucres fermentescibles) servent à brasser la bière chang.

Carte des bières traditionnelles du Bhoutan
 
Carte des bières traditionnelles du Bhoutan. Identification des principales céréales ou des tubercules employés pour brasser les bières traditionnelles du pays.

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Les bières traditionnelles du Bhoutan

 

 

La bière chang est également un trésor culturel au Bhoutan. Dans tous les pays du monde, la bière joue un rôle social. L’amitié, la libération des tensions, les fêtes collectives se célèbrent autour d’un verre de bière. Dans ces pays, la bière industrielle fait bien l’affaire. Mais au Bhoutan, la bière domestique brassée à la ferme ou dans les grandes demeures rurales ne sait ni voyager ni se garder en bouteille. C'est une fabrication locale destinée à une famille ou une réunion de quelques dizaines de personnes, brassée avec les céréales locales et fermentée à l’aide de plantes sauvages (ferment). Son goût et ses arômes varient selon la saison, les céréales disponibles, la météo et l’expertise des brasseuses. Le contraire d’une bière industrielle embouteillée, standardisée, vouée au commerce. Trésor en danger car son avenir repose sur celui des communautés villageoises. Leur structure familiale élargie et leur mode de production agricole sont soumis aux coups de boutoir de la globalisation et de la modernisation à marche forcée de ce petit pays .

 Trésor religieux enfin. Les boissons fermentées sont écartées de la pratique bouddhiste des lamas, des moines et des nonnes. Mais le bouddhisme tantrique accepte des offrandes d’alcool de la part des laïcs (culte de Drukpa Kunley au monastère de Chimi Lhakhang). Les rites Bön, les offrandes domestiques et les fêtes collectives réservent également un rôle central à la bière chang et à l’alcool distillé ara.

 Remplacer sur l’autel domestique la coupelle de bière brassée à la maison par une bouteille de bière industrielle ou d’alcool achetée dans un magasin menace la signification profonde d’une offrande religieuse. La dévotion bouddhiste implique que l’offrande vienne de son propre effort, de son travail et d’une intention personnelle, pas d’un circuit commercial et d’une fabrication en usine. Transformation plus radicale encore, une boisson issue des fruits de la terre est remplacée par des sodas à base de produits chimiques. Dans ce genre d’évolution culturelle rapide, ce sont les gestes et les realia associés aux rituels qui perdent les premiers leur signification religieuse primitive pour ceux qui les pratiquent, ainsi le chang ou l’ara remplacés par des boissons industrielles. Bientôt, ce sont les paroles et les prières qui se vident peu à peu de leur sens pour ceux qui les récitent.

 

Trois raisons de préserver le « brassage à la Bhoutanaise », une tradition et un savoir-faire dont l’intérêt dépasse le folklore ou la curiosité touristique.

 

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