Situation de la brasserie à la fin du 19ème siècle.

 

Les ingrédients de brassage sont très variés et librement utilisés. Parmi les matières amylacées les plus anciennes, on brasse orge, blé, seigle, sarrasin, avoine. Mais également la pomme de terre, le maïs ou le riz introduits en Europe depuis l’Amérique et plus récemment employés en brasserie comme compléments. Parmi les édulcorants : les fruits, la betterave européenne, le sucre de canne des colonies britanniques ou françaises. La liste des aromates/préservateurs est très longue et variable d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre, d’une tradition à l’autre.

  • anis, myrthe, feuilles de chêne, le lierre (toxique), fleurs d'automne, framboises, baies de sureau, carvi
  • lavande, pissenlit, feuilles de laurier, baume, menthe, noix de muscade
  • feuilles de cerisier, prunes des feuilles de rose, romarin sauvage
  • baies de genièvre
  • mauvaises herbes

La brasserie des pays scandinaves n’est pas entièrement convertie à l’addition de houblon, ce qui permet aux fermiers de brasser leur propre bière à l’échelle du village qu’ils aromatisent ou pas avec des plantes locales souvent issues de la cueillette, et non de la culture.

Reinheitsgebot für Bier 450 ans

 

Seules quelques régions, états ou duchés munis d’une réglementation autoritaire fiscale ou professionnelle obligent/interdisent l’emploi de telles céréales ou ingrédients de brassage. Le Duc de Bavière impose en 1516 une disposition intitulée « Comment la bière doit être servie et brassée en été comme en hiver dans nos terres » (connue sous le nom de Reinheitsgebot). Le duché la conserve en 1871 lors de son rattachement à l’empire Allemand, applicable seulement en Bavière. Mais en Europe, la plupart des autorités politiques, qu'il s'agisse de villes, de régions ou d'anciens États indépendants, acceptent de fusionner leur propre tradition brassicole dans de vastes réglementations nationales uniformes.

Les procédés de brassage utilisés en Europe par les brasseurs et brasseuses du 19ème restent très ouverts. Les nombreux manuels rédigés par des ingénieurs ou des sociétés savantes au 19ème siècle font la promotion des méthodes et procédés « industriels » réputés plus fiables, rentables et sains. Ils occultent ou dénigrent les procédés artisanaux et domestiques, réputés archaïques, conservateurs et hostiles aux « progrès de la science », ce qui démontre leur existence et leur poids économique. Quoique négative, cette publicité révèle la grande variété des schémas de brassage traditionnels et de leurs techniques. Malgré tout, cette littérature professionnelle n’aide pas l’historien à mesurer la variété des procédés employés dans tous les secteurs de la brasserie. Il faut puiser dans la littérature, les journaux, les rapports économiques pour lever le voile.

Les brasseries n’obéissent pas à un schéma uniforme de production. Les faubourgs de Londres, Berlin ou Prague abritent de grandes usines à bière qui alimentent à la fois le marché très concentré des grands centres urbains issus de la révolution industrielle et les marchés d’outre-mer des empires  coloniaux français, britanniques, hollandais ou bientôt allemand.

A côté de ces géants de l’époque, les brasseries font pour l’essentiel partie du secteur artisanal qui brasse et vend à l’échelle locale ou régionale. Des fermes-brasserie produisent l’orge, le houblon et la bière qu’elles vendent sur place ou localement. Cette économie agro-brassicole s’est développée dans les régions à orge et houblon (Kent, Flandres belge et française, Nord-Alsace-Lorraine, Allemagne septentrionale, Bavière, Tchécoslovaquie).

A l’autre bout du circuit de la bière, des tavernes-bars-brasserie produisent elles-mêmes la bière vendue sur place, économisant ainsi le transport et le conditionnement[1]. Ce mode de production-distribution de la bière se rencontre dans tous les pays d’Europe, sauf ceux du pourtour méditerranéen. Enfin, le brassage domestique est très vivace. La synergie brasserie-boulangerie fonctionne parfaitement, tant qu’une famille peut se procurer tous les ingrédients nécessaires pour confectionner sa bière à moindre coût et temps. L’industrie agro-alimentaire ne s’est pas encore interposée entre le monde agricole et le monde urbain.

Une autre tradition existe : celle des brassins saisonniers. Dans de nombreuses régions, la bière n’est pas produite et bue toute l’année, mais seulement en automne et au printemps, quand le prix des céréales est au plus bas et la saison favorable à la conservation des brassins. En été, on attend la soudure et la bière s’acidifie, en hiver les grains ne sont pas « gaspillés ». Ces grandes lignes varient. Les pays scandinaves et d’Europe du Nord brassent aussi en hiver après les moissons de septembre/octobre. L’Europe centrale au climat plus chaud privilégie les brassins de printemps.

 

Il faut retenir ce trait essentiel pour toute la brasserie traditionnelle dans l’Europe du 19ème siècle. La production et la consommation de la bière restent attachées au cycle agricole, ses contraintes et ses rythmes saisonniers. La grande usine à bière des métropoles fait exception dans le paysage brassicole européen, même si elle symbolise la révolution industrielle et préfigure l’évolution générale de la brasserie du 20ème siècle.

 

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[1] Le pub-brasserie ou la micro-brasserie ne sont pas des concepts nouveaux !

20/09/2012  Christian Berger