La brasserie chinoise sous la dynastie des Zhou (1045 à 256 av. n. ère).

 

Chine

 

Les techniques de brassage et le rôle socio-économique de la brasserie sont mieux cernés sous les Zhou. Des textes littéraires existent pour la fin de la période.  Le Shi Jing (Livre des Odes), dont la compilation s'étale sur 5 siècles entre 1100-600, pullule de références à la bière dans les banquets, les cérémonies officielles, les plaisirs, les chansons et poèmes populaires. D'autres textes oraculaires ont été découverts, ainsi que des comptabilités. Enfin, les vases rituels et les services à bière en bronze des Zhou ont été retrouvés par centaines. Certains bronzes portent des inscriptions révèlant l'identité et les fonctions de leurs propriétaires, tous aristocrates.

 

Western Zhou StatesLa longue période dite des Zhou (1045-256 av. n. ère) se divise en deux. Les Zhou occidentaux dominent l'Ouest de la Chine entre 1045 et 771 av. n. ère. Le pouvoir central de la dynastie Zhou est le plus souvent nominal. En réalité,  les vassaux du roi héritent des anciens territoires et grands domaines agricoles des Shang. Ils forment des clans et des alliances familiales dont la puissance économique et militaire domine le clan royal des Zhou. Cette période voit l'entrée en scène des peuples de l'Ouest (Quanrong) et des pasteurs semi-nomades du Nord (Mongolie, Mandchourie).

 

Eastern Zhou States

 

 

En 770, l'ancienne capitale Haojing sur la rivière Wei est pillée par une coalition de vassaux rebelles et de peuples Quanrong. Ce qui reste des clans Zhou déplace la capitale Chengzhou vers l'est à Luoyang. La période des Zhou orientaux débute (771-256 av. n. ère).

 

 

Selon le Zhou Li (Rites des Zhou), 6 boissons sont préparées et servies pour la famille royale [1] :

Shui = l'eau brute
Jiang = l'eau de cuisson des grains bouillis
Li  醴 = une bière légère après un seul jour de fermentation
Liang = une infusion de grains grillés
I = un jus de prunes
I = une bouillie très légère et non fermentée de riz

Cette liste est par nature restreinte aux usages cérémoniels des rites conduits par les représentants de la dynastie.

Le Li Chi (Livre des Rites), énumère également ces 6 boissons et ajoute le jiu 酒, une bière filtrée ou non, et déjà connue à l'époque des Shang (Brasser sous les Shang). Plus loin, le même texte remplace dans la liste le jus de prune par le jiu (Huang 97, note 131). Sous les Zhou se développe la technique du sirop de malt yi, l'une des principaux édulcorants de la Chine ancienne. "La bienséance est aux gens ce que le malt (nie) est à la bière-jiu " (Li Chi). Le Guan-Zi (Livre de Maître Guan) ajoute vers -400 que "le malt (nie) peut s'utiliser pour la bière-jiu".

On doit comprendre que la bière de malt (nie) incarne la modération, la retenue (bienséance), quand la bière brassée avec du ferment amylolytique (qu), forte et savoureuse, pousse aux excès, penchant naturel du genre humain. Ce qui implique qu'au moins deux méthodes de brassage coexistent en Chine à cette époque : le maltage des céréales et les champignons amylolytiques. Les autres méthodes de brassage (insalivation, plantes amylolytiques, surmaturation de fruits amylacés, hydrolyse acide) nous échappent car les textes sont focalisés sur les centres de pouvoirs politiques. Le brassage de bières domestiques, le brassage dans les communuatés villageoises ou parmi les peuples dits "barbares" n'interessent pas l'historiographie des Han.

La bière-jiu, plus forte, semble avoir peu à peu remplacé la bière-li dans le goût et les habitudes, du moins à la cour et dans les banquets officiels. Cette évolution des manières de boire des élites répond à deux évolutions majeures. L'une est technique et concerne la mise au point complexe des ferments amylolytiques (qu) évoquée à propos des Shang. L'invention de cette "biotechnologie" s'inscrit dans la profusion d'innovations technologiques de la seconde période des Zhou. L'autre est sociale : les écoles de pensée et les nouveaux modèles politiques fleurissent à partir de -700. La Chine à l'avènement des Zhou (-1050) est une mosaïque de principautés enserrées dans des liens féodaux. Moins d’un millénaire plus tard, la Chine voit s'affirmer de puissants royaumes, alliés ou ennemis, jusqu'à l'unification finale des Qin et l'organisation impériale des Han[2].

L'envergure de ces organisations politiques favorise les militaires et la bureaucratie. Ces deux catégories sociales célèbrent banquets et festivités qui attirent la clientèle des hommes et femmes de talent et renforcent les coalitions de familles aristocratiques. Leurs goûts vont vers des bières plus alcoolisées, aux saveurs plus fortes et plus sophistiquées. La technique du ferment à bière qu répond à leurs attentes.

Hu vase , bronze. 5ème siècle av. n. ère. Cernuschi p 174
Vase en bronze incrusté de type hu pour conserver les boissons fermentées. H. 39,8cm. 5e siècle avant notre ère. Début de l'époque des Royaumes Combattants (481-221). Musée Cernuschi. Paris.

 

 

Le raffinement des services à bière en bronze des Zhou témoigne de l'extraordinaire développement des techniques, l'alliance de la brasserie et de la métallurgie. La stratification sociale s’accentue sous les Zhou occidentaux (1046-771) [3]. Les services à boire en bronze des Zhou sont très sophistiqués. Ils comptent environ six à huit vases, jarres et gobelets différents pour servir, boire la bière ou la conserver. Ces services à bière sont également utilisés pour les libations lors des cérémonies religieuses ou des rituels funéraires. L'art  et la technique du bronze atteignent leur apogée sous la dynastie des Zhou. Ils témoignent d'un luxe réservé à une frange très limité de cette société.

 

Ces mœurs somptuaires culminent à la cour du roi et dans le palais. Selon le Zhou Li, (Rites des Zhou), parmi les quelques 4000 personnes du palais royal, 2271 (56%) s’occupent des nourritures et des boissons fermentées. L’alimentation et l’organisation des banquets sont au cœur de la vie politique. 27% du service de bouche est consacré aux boissons, dont la plupart sont fermentées (jiu). Parmi celles-ci, la bière occupe une place d’honneur. Un intendant des boissons fermentées (jiu sheng) supervise la brasserie palatiale (Tableau 1).

 

 

Titres / Rôles Effectif de cuisine Effectif de brasserie
Maîtres diététiciens du roi, de la reine et des princes 162  
Spécialistes des viandes 70  
Cuisiniers de la famille royale à l’intérieur 128  
Cuisiniers des invités à l’extérieur 128  
Assistants cuisiniers 62  
Spécialistes de grains, légumes et fruits 335  
Spécialistes du gibier 62  
Spécialistes des poissons 342  
Spécialistes des tortues et crustacés 24  
Spécialistes des viandes séchées 28  
Officiers des boissons fermentées (jiu ren)   110
Service des boissons fermentées (jiu)   340
Spécialistes des « 6 boissons » (voir Rites des Zhou ci-dessus)   170
Glaciers 94  
Serveurs sur plateaux de bambou 31  
Serveurs de plateau de viande 61  
Spécialistes des saumures et sauces 62  
Spécialistes du sel 62  
  1651 (73%) 620 (27%)

Tableau 1 : personnel palatial des Zhou affectés aux aliments et boissons (Chang 1977,  note [4])

 

La nourriture comme les boissons ne sont pas séparées des rites et des cultes. Les fondations essentiellement agraires du pouvoir dans la Chine ancienne légitime la royauté si elle garantit l’abondance des fruits de la terre. La prospérité agricole signe la bénédiction du Ciel. Les boissons fermentées, tout spécialement les boissons de céréales comme la bière, sont surchargées de significations symboliques.

De nombreux textes oraculaires sur carapaces de tortue parlent des offrandes de bière. On interroge les dieux sur l’opportunité de faire tel ou tel « sacrifice de bière » tel ou tel jour et pour tel motif. Les rites couvrent un large éventail d’activités sacrificielles : offrandes propitiatoires pour requérir moissons abondantes, guérison ou longévité; prières aux dieux; cérémonies funéraires; honneurs rendus aux ancêtres; divination. Chaque fois, les divinités reçoivent de la bière, des grains grillés et des viandes sacrificielles. La bière dans les textes oraculaires chinois fera l’objet d’articles spécialisés de Beer-Studies.

Le Li Chi (Livre des Rites) abonde de références aux diverses sortes de jiu, la manière de préparer ces bières pour les offrandes et de les faire couler en libation aux dieux. Au chapitre des Ordonnances Mensuelles (Yue Liang) , il est dit pour ce qui correspond au 9ème mois du calendrier actuel (octobre) : « Au second mois de l'hiver, ordres sont donnés au Surintendant de la Bière (jiu cheng) de contrôler si le millet et le riz sont prêts, le ferment et le malt de saison, le trempage et chauffage conduits proprement, l'eau parfumée, les jarres de terre cuite en bon état, et le feu correctement réglé. » Ce Surintendant dirige la brasserie du palais, sa logistique, ses moyens techniques et son personnel. Tout y est : le souci des stocks de grains et de combustible, la fraîcheur de l'eau, la qualité du malt et des ferments qui ne doivent pas être trop vieux, c'est-à-dire conservés de l'année précédente. En octobre de chaque année, les moissons sont faites, le millet et le riz nouveaux sont récoltés.

On note la présence simultanée du malt (nie) et du ferment à bière (qu). A la fin de la dynastie Zhou, ces deux techniques de brasserie coexistent parfaitement au cœur du palais, centre politique du pays.

Au 1er mois d'été, les Ordonnances Mensuelles prévoient que « le Fils du Ciel divertit (ministres et princes) avec de la bière-zhou 酧 », donc une bière très forte. Selon les commentaires des Han, la bière-zhou 酧 s'obtient en saccharifiant 3 lots successifs de grains cuits dans la cuve de saccharification-fermentation. Cette méthode permet de renforcer la teneur en alcool, résultat qui ne peut s'obtenir qu'avec des ferments amylolytiques (qu), dont les organismes tolèrent une plus grande densité d'éthanol que les seules levures saccharomyces.

Le dernier mois du printemps, « le Fils du Ciel présente des robes jaunes (ju i) comme les feuilles du murier au Divin Souverain". Le signe ju i  dénote la couleur jaune et serait une variante du signe qu, le ferment à bière. Les spores d'Aspergillus oryzae sont jaunes. Il n'y a qu'un pas pour penser que les ferments d'époque Zhou sont comme aujourd'hui une culture d'Aspergillus du riz. Rappelons aussi que des sporanges d’Aspergillus ont été découverts dans des jarres à bière du site de Dingcun, cours moyen du Huang-He (≈ 4500 av. n. ère).

Le rituel royal des Zhou explore très avant la symbolique du brassage. Chaque étape de la fermentation est nommée et fait l'objet d'une étape spécifique dans le déroulement très précis et codifié du rituel. En voici le tableau d'après Wang Chin [5].

 

 

  Usage Commentaires des textes sous les Han Etape du brassage
Yuan jiu Grand Rituel Eau pour la bière Matière première
Les 5 qi      
Fa qi Rituel Bulles et morceaux flottent en surface Début de la fermentation
Li qi Rituel Liqueur épaisse et bouillonnante Pleine fermentation
Ang qi Rituel Liqueur bouillonne, parfum renforcé Fermentation forte
Ti qi Rituel La liqueur bouillonne et rougit Coloration complète par le ferment rouge
Chen qi Rituel La lie se dépose Fin de fermentation
Les 3 jiu      
Shi jiu Boisson Filtrer quand les drêches sont séparées Filtration de la bière. Drêches
Xi jiu Boisson Bière gardée Décantation en cours
Qing jiu Boisson Bière clarifiée Bière bonne à boire

 Tableau 2 : bières rituelles des Zhou et désignations de leurs états intermédiaires

 

On relève dans le Shi Jing, ce compendium des traditions populaires des Zhou, que la bière fait l'objet d'un commerce sur les marchés ou auprès d'artisans, hommes ou femmes spécialisés dans le brassage.

«  Ils sont tombés au pied des arbres le long de la colline.
J'ai filtré 釃 la bière 酒 en abondance;
Les plats sont alignés en rangs,
Et aucun de mes compagnons ne manque.
La perte de bienveillance entre les gens,
Peut venir d'un manque de provisions sèches.
Quand nous avons de la bière 酒, nous la pressons 湑, oui !
Quand nous n'avons pas de bière 酒, nous l'achetons, oui !
Je fais battre les tambours, oui !
Je mène la danse, oui !
Chaque fois que nous avons des loisirs,
Buvons des bières clarifiées 湑. »
(Shi Jing, 165 : 伐木 FA MU [6])

 

Cette plainte d'une aubergiste habituée à recevoir des ivrognes éclaire le petit commerce de la bière dans la Chine des Zhou. Cette tavernière sert à manger et à boire.

« Quand les hôtes sont soûls,
Ils hurlent et braillent,
Renversent mes paniers et mes plats,
Font des cabrioles, dansent et tombent.
Car ceux qui sont ivres
Ne savent rien des fautes qu'ils commettent.
 » (Shi Jing, 220 : 賓之初筵 BIN ZHI CHU YAN)

Cette tavernière est probablement aussi brasseuse. Dans l’antiquité chinoise, le brassage commercial est une activité aussi bien féminine que masculine. Cette brasserie-taverne de village ne fonctionne pas comme la brasserie palatiale. Cette dernière est au service du palais et de l’aristocratie, supervisée par des intendants, des brasseurs et un personnel nombreux comme le montre le Tableau 1. La brasserie-taverne de village est au service des voyageurs, des hôtes de passage et des autochtones. Elle est la source-même des nombreuses bières très différentes d'une région à l'autre, brassées avec les ingrédients locaux et selon les recettes traditionnelles transmises de mère à fille.

 

A la fin de la dynastie Zhou (vers -256), tout est en place pour que grandisse le rôle économique et social de la bière dans l'empire chinois en gestation. C'est une période charnière dans l'histoire de la brasserie chinoise.

Au plan technique, les céréales de brasserie sont nombreuses. Le nord (zone des céréales) et le sud (zone du riz, des fèves et des tubercules) du pays sont progressivement unifiés au sein du futur empire des Han. Les techniques de brassage sont multiples. Les 2 principales méthodes sont le maltage et le ferment amylolytique. Elles permettent de brasser un très large éventail de matières premières amylacées : les céréales, mais aussi le riz, les tubercules (taro, ignames) et les fèves. Ce noyau technique peut désormais se développer dans l'immense territoire chinois.

Au plan économique, la bière est bue par toutes les catégories de la population. La richesse des techniques de brasserie permet de produire plusieurs sortes de bière pour chaque catégorie sociale, de la vendre et de la boire en toutes circonstances. 

Au plan symbolique et religieux, la bière est sortie des palais royaux et des temples. Elle continue de servir d'offrande et de libations dans les rites agraires. Mais les pouvoirs politiques forts et centralisés voient désormais dans la bière la boisson profane de tous les sujets de l'empire, une boisson soumise aux règles de la vie économique, dépouillée de son caractère religieux sacré ou de son exclusive princière.

 

 

Confucianisme, Légisme et Taoisme préparent une vision unifiée de l'homme. Ces trois approches philosophiques et politiques sont toutes formulées par les grands maîtres de la pensée chinoise entre le 6ème et le 2ème siècle av. notre ère.

Confucius

Pour un confucianiste, la bière est la boisson des bienséances, offerte avec respect aux ancêtres, la boisson du lien social bue dans la symbolique de l'échange. Partager la bière selon un protocole, c'est réaffirmer les droits et les devoirs de chaque être humain au sein d'une société fortement hiérarchisée. Le Maître dit :

« Hors de la maison, je remplis mes devoirs envers le prince et ses ministres; à la maison, je le fais envers mes parents et mes frères aînés; j'observe le mieux possible toutes les prescriptions du deuil; j'évite l'ivresse. Où est la difficulté pour moi ? » (Lunyu IX. 16. 225). Boire la bière au cours des rites funéraires est un devoir de piété filiale, mais contrôler les effets de la bière est un autre devoir pour soi-même. La saison des honneurs rendus aux ancêtres ouvrait dans l'année une période de grande consommation des bières rituelles de riz et de millet. De surcroît, ces bières étaient souvent plus fortes, comme la bière-Shang.

 

Même dans un contexte festif – la vie sociale multiplie les fêtes, les réunions et les occasions de boire la bière des maîtres de maison dans la Chine ancienne – Maître Kong (Confucius) garde le contrôle de soi : « Quand il participait à une fête où il y avait abondance de provisions devant lui, il changeait de contenance et se levait.» (Lunyu X. 25)

Des habitudes de Confucius, les Annales disent :

« Lors même que les viandes abondaient, il ne prenait pas plus de viande que de nourriture végétale. La quantité de bière ( 酒 = jiu ) dont il usait n'était pas déterminée; mais elle n'allait jamais jusqu'à l'enivrer. Il ne voulait pas de bière ni de viande séchée qui eussent été achetées [7] » (Lunyu X. 8. 248).

 

 Shang Yang, Chancelier de l’État de Qin (361 av. J.-C. - 338 av. J.-C.) 

Pour un Légiste soucieux de l'ordre social et de la Loi ( Fa 法 ), la bière est un dilemme. Source de taxes, elle est opportune pour le pouvoir fort qui doit augmenter ses finances. Mais la brasserie consomme les précieuses céréales que l'Etat prévoyant doit stocker en cas de disette ou de famine. Faut-il encourager ou interdire la brasserie ? Mieux vaudra encadrer strictement sa fabrication, sa vente et sa consommation.

Voici une mesure édictée par le réformateur légiste Gongsun Yang (-390 à -338) dans l'état de Qin : « Si le prix de la bière (酒) et des viandes en les taxant coûtent dix fois plus cher que les biens de première nécessité, on réduira par cette mesure le nombre des marchands et on ramènera les humbles à la sobriété (酤), les grands à la frugalité. Les commerçants étant rares, le prix des grains ne monte plus; le peuple étant sobre (酤), l'agriculture ne sera pas négligée. Les fonctionnaires n'étant plus gloutons, les affaires de l'Etat ne seront plus bâclées.»[8]. Notez au passage qu'il s'agit bien d'une politique de contrôle des grains, leurs prix, leur circulation, et leurs usages économiques. Quand on commet l'erreur de traduire le chinois jiu (酒) par vin au lieu de bière, on passe à côté des liens intrinsèques qui unissent la bière, la brasserie et l'économie agraire.

 

Lao Tseu en dieu taoïste avec l’éventail en main

 

 Pour un Taoïste, la bière (酒) brouille l'esprit et empoisonne le corps. Mais l'ivresse maîtrisée entrouvre aussi une petite fenêtre de l'esprit par laquelle l'homme peut percevoir le Dao. Cette conception tardive sera développée par des lettrés, poètes et peintres adeptes du Tao sous les Tang (618-907) et les Song  (960-1279) (Dao et Quête d'immortalité). Les conceptions taoïstes sous les Zhou font une part aux cérémonies religieuses traditionnelles, aux offrandes de bière, et ne sont pas hostiles à l'exercice politique dans le giron des pouvoirs de l'époque.

 

 Autant de vues, autant de visages de la bière dans la Chine ancienne. 

En réalité toujours la même boisson. La bière aux multiples facettes traverse toutes les couches sociales de la Chine pré-impériale. Cette boisson fermentée répond aux vœux de l'homme pieux (Confucius), aux volontés du stratège politique (le légiste Shang Yang) et aux désirs du sage (Lao Tseu).

 

La bière-jiu sophistiquée et forte des banquets royaux comme la bière clarifiée ordinaire des auberges et marchés villageois vont être enserrées dans un nouveau cadre idéologique qui prévoit la place et le rôle de chacune. L'organisation impériale des Han va fusionner ces multiples visages de la bière, contrôler les brasseries et le commerce de la bière pour remplir les caisses du premier système impérial chinois  (Grand Empire des Han).

 

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[1] Huang H. T. 2000, Fermentation and Food Science in Science and Civilisation in China (Needham J. ed.) Vol. 6 Part. V, 97.

[2] Entre le milieu du 5ème siècle et 221 av. n. ère, sept Etats s'affrontent pendant la période dite Royaumes Combattants, jusqu'à la domination de l'un d'entre eux, le royaume de Qin appuyé sur le bassin du Sichuan au sud-ouest.

[3] Constance Cook 1997, Wealth and the Western Zhou, Bulletin of the School of Oriental and African Studies, 60 (2), 253-294.

[4] Chang K. C. 1977, Food in Chinese Culture. Anthropological and Historical Perspectives, p. 11.

[5] Wang Chin 1921, Chung-kua ku-tai chiu-ching fa-hsiao yeh chich i-pan, Kho Hsüeh 6(3), 270-282. Et Huang H. T. 2000, 164.

[6] Texte en ligne du Shi Jing  => etext.virginia.edu/chinese/shijing/AnoShih.html

[7] La bière et la viande risquaient d’être corrompues. De même « Il (Confucius) ne mangeait pas la bouillie qui était moisie et gâtée, ni le poisson ni la viande avariés. Il ne mangeait pas un mets qui avait perdu sa couleur ou son odeur ordinaire. » wengu.tartarie.com/wg/wengu.php?l=Lunyu&no=248

[8] Extrait du chapitre 2 "Mise en Culture des Friches", Order n° 10. Shang Yang, Le Livre du Prince Shang, Présentation et traduction de Jean Lévi 2005, p. 59. Texte chinois-anglais en ligne => ctext.org/shang-jun-shu/order-to-cultivate-waste-lands

06/06/2014  Christian Berger