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Vendre la bière traditionnelle parmi les Xhosa.
Yvonne Chaka Chaka, Umqombothi 2.0
Le partage de la bière en échange de travaux collectifs n’est pas le seul mode par lequel la bière circule parmi les Xhosa. Les bières traditionnelles peuvent être brassées pour être vendues. Ce phénomène général en Afrique résulte d’une adaptation au monde marchand, du poids croissant du mode de vie citadin et d’une évolution du statut économique des femmes.
Les Xhosa possèdent deux manières de vendre la bière traditionnelle. La première dérive des partages de bière pour des travaux collectifs. Les imbarha sont des réunions où une partie du brassin est vendue aux membres du clan pour collecter l’argent nécessaire à des travaux ou des projets collectifs (école, bâtiment communal, etc.). La seconde (inkazathi) prend la forme d’une boisson organisée librement par un groupe qui décide de boire de la bière, collecte ce qu’il faut pour la faire brasser par des femmes et vend une partie du brassin pour payer les frais engagés. Ces ventes de bière n’échappent pas à l’obligation sociale de donner gratuitement une partie de la bière brassée, environ un tiers, comme cadeaux aux personnes qu’on veut honorer ou comme part des coutumes qu’il faut respecter (bière offerte aux aînés, aux chefs de clan ou de sous-clans, etc.) (McAllister 239-242).
La bière mangumba est vendue par des femmes qui ont besoin de ce moyen pour subsister (veuves, femmes isolées). C’est une bière à base d’ingrédients industriels, rapide à brasser et plus alcoolique. La brasseuse échappe à deux contraintes. L’une est technique : le brassage des bières traditionnelles exige au moins 8 à 10 jours de travail, du maïs de bonne qualité et du matériel. La bière doit être bue rapidement. L’autre est sociale : la vente de bière-mangumba peut s’affranchir des règles de réciprocité et de partage, notamment en milieu urbain. Tout le brassin peut être vendu selon une logique marchande. Les additifs chimiques conservent la bière[1].
En 1927, l'Afrique du Sud a adopté la loi sur les boissons alcoolisées, qui interdisait aux Sud-Africains non blancs d'entrer dans les établissements sous licence ou de vendre de l'alcool. La minorité blanche a forcé la majorité noire à enterrer ses traditions séculaires et ce qui forge une partie de son identité culturelle et de sa cohésion sociale. Les bars à bière clandestins se multiplient dans les townships, tenues par des femmes-brasseuses-hôtesses courageuses bravant la répression : les shebeens ou les skokiaan queens. Avec le durcissement du régime d’apartheid en 1948, ces bars clandestins deviennent des lieux de rendez-vous politiques et des cibles de la police. Ces bars des townships héritent en partie du fonctionnement des partages de bière des Xhosa ou des Zoulous dans leurs régions d'origine : rôle central des femmes, partage dans un environnement domestique, brassage des bières traditionnelles de sorgho ou de maïs, etc.
Skokiaan queen à Johannesburg (Photo Constance Stuart Larrabee, 1948) | Shebeens et bars à bière en Afrique du Sud aujourd'hui | Shebeen aujourd'hui avec un seau à bière passant entre buveurs |
[1] Ces bières pseudo-traditionnelles sont suspectées de contenir des produits nocifs au même titre que les alcools distillés frelatés. En 2016, l’Afrique du Sud amende son Liquor Products Act de 1989 pour définir la Bière Traditionnelle Africaine de manière plus strict.