Les coïncidences géographiques entre foyers agricoles et brasserie primitive.

 

 

La question est la suivante : les régions du globe qui voient naître la brasserie aux époques les plus anciennes recouvrent-elles les aires primaires de domestication des plantes amylacées  (carte ci-dessous) ?

Les aires primaires de domestication des espèces végétales désignent les régions du globe où les plantes sauvages ont été domestiquées par l'homme pour la première fois. Ces foyers sont au nombre de 5 ou 6 selon les auteurs. En 1926, Le généticien et botaniste russe Nicolaï Vavilov dévoile la première carte de l'origine des plantes cultivées, après avoir parcouru la planète, récolté 150.000 graines et spécimens, enquêté sur les plus anciennes techniques agricoles encore pratiquées au début du 20ème siècle. Il montre que les blés se sont diversifiés en Perse et sur les hauts plateaux d'Ethiopie, les maïs dans les Andes. Œuvre prophétique. On a depuis modifié les cartes de Vavilov en complétant les collections mondiales de spécimens végétaux, et exploitant les anciens débris végétaux découverts par les archéologues. La biologie moléculaire a expliqué certains mécanismes qui contrôlent l'évolution des plantes cultivées.

La carte ci-dessous ne retient que les aires de domestication des plantes à riche potentiel d'amidon : céréales, graminées, tubercules (manioc, igname, taro, pomme de terre) et les fruits secs concentrés en amidon.

 

Carte : zones primaires de domestication

Localiser sur la carte les sites des traces anciennes de brasserie.

 

Le foyer A1 (Croissant Fertile) couvre le Proche-Orient, c'est-à-dire l'ancienne Mésopotamie, et borde l'Iran, la Turquie et l'Egypte. Ces régions sont de très anciens foyers brassicoles (Godin tepe Shahr-i-Sokhta). L'Egypte (Hierakonpolis) peut-être considérée comme un foyer brassicole secondaire issu des plantes d'abord cultivées dans le Croissant Fertile. Ceci requiert confirmation car les textes egyptiens anciens parlent des graines de nénuphars broyées entrant dans la composition de la bière, donc une plante locale des rives du Nil..

 

Le foyer A2 couvre l'Afrique sub-saharienne pour laquelle les témoignages les plus anciens de brassage (Nubie, Soudan) ne remontent pas en-deçà du second millénaire avant notre ère d'après les sources égyptiennes. On peut attendre beaucoup des fouilles archéologiques balbutiantes dans ces régions.

 

Le foyer B1 correspond à la vallée fertile du Huang-he en Chine septentrionale, où se trouve le site de Jiahu (Jiahu) et d'autres sites légèrement plus récents (Mijiaya et Dingcun).

 

Le foyer B2 couvre une très vaste zone que certaines cartes scindent en deux sous-régions : la vallée du Yangtze et l'Asie du Sud-est. Nous ne possédons aucun témoin matériel du brassage de la bière pour ces deux régions à des époques très anciennes.

 

Le foyer C1 correspond au Sud du Mexique et à l'Amérique centrale. Là encore, les témoins directs du brassage de la bière font défaut. Les archéologues y soupçonnent l'usage de la bière de maïs en rapport avec sa domestication sur la base d'indices indirects.

 

Le foyer C2, plus étendu, couvre la Cordillère andine et le plateau guyanais. Cerro Baú l est en Bolivie le site de référence à ce jour qui nous assure que la bière était brassée dans cette région il y a 3000 ans (Cerro Baúl).

   

L'Europe, il faut le noter, n'est pas une aire primaire de domestication des plantes amylacées. Blés, orges, seigle, pois, fèves, etc. sont des plantes venues du Proche-Orient et parvenues en Europe avec la migration des peuples ou les emprunts culturels. L'Europe ne peut pas servir de modèle pour comprendre la naissance de la brasserie.

N'existent-ils dans le monde que 6 ou 7 centres d'origine de la brasserie ? L'affaire est plus compliquée. Il existe un décalage chronologique, pour chaque centre primaire, entre les premières domestications de plantes amylacées et l'apparition de la brasserie. Dans ce laps de temps, parfois plusieurs millénaires, les plantes cultivées voyages, se transforment. La géographie de la domestication progresse, et avec elle des zones secondaires de domestication se forment. L'orge à deux rangs est cultivée au Pakistan dès le 7ème millénaire av. n. ère. La culture du riz progresse rapidement en Inde par le Bengale et la vallée du Gange. Le manioc se répand dans tout le bassin amazonien. On peut donc s'attendre à trouver de très anciens foyers brassicoles "secondaires", loin des aires primaires de domestication, par exemple en Inde, en Asie centrale, en Afrique Orientale, en Europe, en Amazonie ou en Amérique du nord.

Par ailleurs, des plantes amylacées considérées de nos jours comme mineures ont joué un rôle alimentaire important dans le passé. Prenons 3 exemples :

Le caroubier et ses gousses pleines de graines ont servi à brasser de la bière en Amérique du Sud, le long de la côte Pacifique et dans la pampa argentine (Bière de caroubier des Amérindiens de la pampa au 16ème siècle). Cette bière de caroubier a pu apparaître avec les premières utilisations alimentaires de cet arbre qui de fait entre dans la catégorie des plantes domestiquées.

Le palmier-sagou (sagoutier) a servi a brasser de la bière en Asie du Sud-Est. La moelle amylacée de son tronc est une ressource alimentaire inestimable pour les populations locales. Sa "domestication" coïncide-t-elle avec la bière de sagoutier ?

L'utilisation des bulbes amylacés de lys (Lilium sp.) pour brasser de la bière date de 5500 ans sur les bords du Huang-He en Chine septentrionale (Mijiaya). Le lys a-t-il été cultivé et donc domestiqué dans ce but ? 

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06/06/2014  Christian Berger