Hollandais et Anglais au coude à coude sur l'AtlantiqueArticle 10 sur 18 Les Apaches et la bière de maïs.

Sur les côtes du Massachusetts en 1620.

The Plimoth Plantation, musée vivant, Massachusetts
The Plimoth Plantation, musée vivant, Massachusetts.

 

Nouvelle tentative de colonisation en 1620. Le Mayflower quitte Londres en juillet 1620, et après deux escales à Southampton et Dartmouth, prend le large à Plymouth le 16 septembre. Après une halte de ravitaillement à Terre-Neuve auprès des pêcheurs locaux, le mauvais temps oblige le vaisseau à jeter l’ancre au Cap Cod (Massachusetts) le 11 novembre, au lieu d’atteindre l’embouchure du fleuve Hudson, but initial du voyage.

Le journal de bord indique que le capitaine Christopher Jones et les colons abordent au Cap Cod car la tempête sévit et les réserves de malt pour brasser la bière à bord sont presque épuisées. Le capitaine doit réserver ce malt pour les marins et leur voyage de retour qui ne peut se faire qu’au printemps 1621. Les autres boissons à bord du Mayflower ont été bues, sauf l’eau-de-vie. Les familles de colons débarquées à terre doivent se débrouiller pour trouver de l’eau fraîche. William Bradford écrit qu’en janvier et février 1621, les colons à terre meurent de scorbut, privés de bière que les marins gardent à bord du Mayflower pour leur propre usage, jusqu’à ce qu’eux-mêmes soient décimés par le scorbut :

« Comme cette calamité [le scorbut] s'est abattue sur les passagers qui devaient rester ici pour planter, et qu'on les a fait hâter sur le rivage et boire de l'eau, pour que les marins aient plus de bière, et qu'un malade ne voulant qu'une petite bouteille de bière, on lui a répondu que même s'il était son propre père, il n'en aurait pas ; la maladie a commencé à se répandre parmi eux aussi, de sorte que près de la moitié de leur compagnie est morte avant de partir, et beaucoup de leurs officiers et des hommes les plus robustes, comme le canonnier, 3 quartiers-maîtres, le cuisinier, et d'autres. À ce sujet, le capitaine fut frappé et envoya des malades sur le rivage et demanda au gouverneur d'envoyer de la bière à ceux qui en avaient besoin, bien qu'il ait bu de l'eau sur le chemin du retour. »[1]

Boire de l’eau signifie à cette époque courir les pires dangers de maladies en Europe. Les eaux des villes sont très polluées. Plutôt de la bière que de l’eau. Les colons vont en priorité construire une brasserie pour avoir de la bière. Mais avec quoi brasser de la bière quand on est sur les côtes du Massachusetts ou de Virginie en 1620 ?

Amerindian village of Secoton, with cornfields and granaries, near the British colony of Ranoke Island (John White 1585).

L’histoire de Squanto, indien Patuxet de la confédération Wampanoag illustre les sombres coulisses de la colonisation de la Nouvelle-Angleterre : capturé parmi d’autres par des capitaines esclavagistes, vendu comme esclave à Malaga sur les côtes africaines, servitude à Londres, retour dans son pays où toute sa tribu a été décimée par les maladies européennes.

Amerindian village of Secoton, with cornfields and granaries, near the British colony of Ranoke Island (John White 1585).Thomas Hunt, capitaine d'un des navires de l'expédition de John Smith vers la Nouvelle-Angleterre en 1614, captura vingt des Indiens Patuxet et sept Nausets et les emmena à Malaga, où il les vendit. Les frères les firent libérer et Squanto trouva le chemin de l'Angleterre, où il fut le serviteur de M. John Slanie, un marchand de Londres. Avant le retour de Squanto en Nouvelle-Angleterre, la tribu des Patuxet avait été emportée par la maladie.” (Bradford’s history …, 111, n. 3).

Avec du maïs. Comment le cultiver ? Sans l’aide, les connaissances et le savoir-faire pour cultiver le maïs d’un amérindien nommé Squanto (ou Tisquantum), la colonie serait morte de faim. Arrivés en plein hiver avec de maigres provisions et des semences de blé déjà moisies, les colons doivent rapidement planter et cultiver au printemps 1621 :

« Il [Squanto] leur indiqua comment planter leur maïs, où prendre du poisson et se procurer d'autres denrées, et fut également leur pilote pour les amener dans des endroits inconnus pour leur profit, et ne les quitta jamais jusqu'à sa mort [en novembre 1622]. » (Bradford 1620, 111)

Les colons doivent négocier avec les chefs amérindiens pour obtenir des semences de maïs, en plus du maïs qu’ils ont découvert et pris dans une cache à leur arrivée.

« Et enfin, notre gouverneur lui demanda une faveur, celle d'échanger avec nous une partie de leur maïs contre des semences, afin que nous puissions faire des essais qui conviennent le mieux au sol où nous vivons. » (Mourt’s Relation, 100)

Ils peuvent alors avec les conseils de Squanto semer du maïs pour leur propre compte.

« Nous avons planté au printemps dernier quelque vingt acres de maïs indien, et semé quelque six acres d'orge et de pois ... Notre maïs s'est bien porté, & Dieu soit loué, nous avons eu une bonne croissance de maïs indien, et notre orge était assez bonne, mais notre pois ne valait pas la peine d'être cueilli ... » (Mourt’s Relation, 132-133, A letter to George Morton in 1622).

Samoset, un indien Sagamore de Monhegan dans le Maine, venu à la rencontre des colons le 16 mars 1621, parle un peu d’Anglais appris avec ceux qui trafiquent pour leur propre compte sur les côtes américaines. Il est bien accueilli et montre que les boissons alcooliques lui sont familières :

« Il demanda de la bière, mais nous lui donnâmes de l'eau forte, du biscuit, du beurre, du fromage, du pudding et un morceau de mallerd, toutes choses qu'il aimait bien et qu'il avait connues chez les Anglais ; » (Mourt's relation or journal of the plantation at Plymouth, 1622, 84). Les colons qui ont immigré d'Europe accordaient une grande importance à leurs boissons alcoolisées. "Les puritains ont embarqué pour le Nouveau Monde avec 14 tonnes d'eau, 42 tonnes de bière et 10 000 gallons de vin" (Anderson, 1988, préface). Samoset a aidé les Pèlerins au cours du premier hiver et partagé avec enthousiasme l'alcool lors de leur premier festin de Thanksgiving (Abbot Lender & Martin, 1982). Cité par Abbot 1996 p. 7).

 

Sur les côtes de Virginie en 1620.

En 1606, les Anglais envoient des navires en Virginie récemment achetée à l'Espagne. La colonisation de la Virginie débute aussi en 1607 sur une île de la baie de Chesapeake, territoire des Indiens Powhatans. Elle est menée par la Virginia Company of London fondée par le roi d’Angleterre et qui fera le commerce du tabac et du sassafra. La colonie est décimée par la famine, le paludisme et les rudes hivers. Le fort de Jamestown sera détruit par les Amérindiens.

George Thorpe, vers 1620, décrit les difficultés de la culture et du maltage de l'orge en Virginie, en grande partie dues à la chaleur de l'été. Thorpe concède deux faits. Premièrement : les colons peuvent boire la meilleure eau douce mais ils n'osent pas (maladie de l'esprit). Deuxièmement : ils peuvent boire une bonne bière brassée avec du maïs indien : « … Je remercie Dieu de n'avoir jamais eu une meilleure santé de toute ma vie que celle que j'ai eue depuis mon arrivée dans ce pays et je pourrais en dire autant de diverses autres personnes ; et suis persuadé qu'il y a plus de gens qui meurent ici de maladies de l'esprit que de maladies du corps parce qu'on leur a trop vanté les victuailles de ce pays en Angleterre et parce qu'ils ne savent pas qu'ils doivent boire de l'eau ici, bien que, grâce à Dieu, ce pays regorge de victuailles tous les jours (comme je le ferai savoir par écrit), et que nous avons trouvé le moyen de faire une si bonne boisson de maïs indien que j'ai refusé plusieurs fois de boire de la bonne bière anglaise forte et choisi de boire celle-là. »[2]

George Thorpe, originaire du Gloucestershire (England), est un distillateur, entre autres choses. Il sait donc brasser de la bière et la distiller pour obtenir du whisky. Arrivé en 1620 sur les côtes de Virginie, il trouve rapidement la solution : remplacer le malt d’orge par du malt de maïs. A l’automne 1620, George Thorpe est dit avoir distillé un brassin de bière de maïs[3].

Les colons anglais apprennent rapidement à brasser de la bière avec les grains de maïs germés, comme ils ont l’habitude de le faire avec du malt d’orge ou de blé en Europe.

 

Les Indiens Nantucket du Massachusetts.

 

L’île de Nantucket a servi de refuge aux Amérindiens Wampanoag, chassés de Cap Cod par la colonisation anglaise en 1620 et qu’ils désignaient sous le nom de Nehantucket. En 1641, les colons envahissent peu à peu l’île pour pêcher ou chasser la baleine. La cohabitation est plus ou moins pacifique. En 1792, Zacchaeus Macy témoigne que les Amérindiens de Nantucket ont adopté la bière des Européens qu’ils savent brasser : « Les indigènes de Nantucket... lors de leurs fêtes... avaient plusieurs sortes de bons aliments et de la très bonne bière forte.»[4]. Deux siècles après l’arrivée des premiers colons, cette bière amérindienne des Nehantucket a sans doute une origine européenne.

L’alimentation des Indiens de Nantucket avant le 16ème siècle, étudiée par E. Little, est basée d’abord sur les ressources marines animales et végétales. La part du maïs et des autres plantes amylacées est négligeable. Ce qui implique que la possibilité de brasser de la bière l’était également[5].


[1] Bradford’s History of Plymouth Plantation 1606-1646, 108-109. Néanmoins, les premiers éclaireurs descendus à terre trouvent l’eau fraîche aussi bonne que la bière ou le vin « Mais finalement, ils trouvèrent de l'eau et se rafraîchirent. C'était la première eau de la Nouvelle-Angleterre qu'ils buvaient, et elle était maintenant, dans leur grande soif, aussi agréable pour eux que le vin ou la bière l'avaient été dans le passé. » (op. cit. 99). Ceci n’empêchera pas la moitié des colons de mourir du scorbut en janvier-février 1621, n’ayant ni fruit, ni légumes, ni bière. https://books.google.fr/books?id=PgGVzCQgjEIC&pg=PA104&dq=pilgrims+beer&hl=en&sa=X&ei=afCbUMqrH4jCswaT54C4DA&redir_esc=y#v=onepage&q=beer&f=false

[2] Letter from George Thorpe to John Smyth (December 19, 1620). Cette lettre parle de brassage et de bière de maïs, pas de distillation. https://encyclopediavirginia.org/entries/letter-from-george-thorpe-to-john-smyth-december-19-1620/

[3] L’inventaire des biens de George Thorpe établi à sa mort en 1634 comprend un alambic en cuivre et divers récipients et tôles en laiton : « … Item alambic en cuivre, vieux 003 Item 4000 clous de 5d 006 Item 2 pains de sucre 005 Item une poêle en laiton avec un trou sur le côté 002 Item grand pot en laiton 015 Item un petit pot en fer 002 Item une tunique de laine 020 Item le tout assiette, bagues, & poids, l'assiette pesant 43 oz 1/8 évalué & prisé 150. » https://encyclopediavirginia.org/entries/inventory-of-george-thorpes-estate-1634/

[4] Macy, Z.  1810 [1794] A Short Journal of the First Settling of the Island of Nantucket (1792). Collections of the Massachusetts Historical Society 3:155-160.

[5] Elizabeth A. Little and Margaret J. Schoeninger, The Late Woodland Diet on Nantucket Island and the Problem of Maize in Coastal New England, American Antiquity Vol. 60, No. 2 (Apr., 1995), pp. 351-368.

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