Bière de caroubier, Rio Grande et Colorado.Article 13 sur 18 Les Natchez et la Compagnie du Mississippi.

Les bières de maïs brassées par les Zuňi.

 

Cérémonial Zuñi, femmes portant des offrandes de maïs, blé et pain aux personnificateurs des dieux Ko'yemshi, c. 1900 Cérémonie Zuñi Ko'Yemshi, maïs, gourdes, offrandes de melons au premier plan, vers 1900. Cérémonie Zuñi Hämpone, llieu des 'Hla'hawe, les personnificateurs des jeunes filles du maïs, c. 1900 Cérémonie Zuñi, symbole de Nuage et fétiches du Shiwanni (prêtre de la pluie) du Nadir après des offrandes de grains, c. 1900.
Cérémonial Zuñi, femmes portant des offrandes de maïs, blé et pain aux personnificateurs des dieux Ko'yemshi, c. 1900 Cérémonie Zuñi Ko'Yemshi, maïs, gourdes, offrandes de melons au premier plan, vers 1900. Cérémonie Zuñi Hämpone, lieu des 'Hla'hawe, les personnificateurs des jeunes filles du maïs, c. 1900. Cérémonie Zuñi, symbole de Nuage et fétiches du Shiwanni (prêtre de la pluie) du Nadir après des offrandes de grains, c. 1900.

 

La tradition brassicole des Zuňi ne s’est pas interrompue depuis le 12ème siècle, époque supposée de son introduction depuis le Mexique ou de l’invention autochtone des bières de maïs dans le Grand Sud-Ouest américain. Les communautés Zuňi ont une structure sociale relativement complexe. Leurs cérémonies annuelles sont également très sophistiquées. L’une d’elle célèbre la Mère-terre, la fertilité et la venue du maïs qui conditionne l’existence matérielle des Zuňi. Le rituel du hla'hewe est joué tous les quatre ans au mois d'août, lorsque le maïs est haut d'un pied, afin de louer la pluie et le maïs et de les faire venir en abondance. Il s'agit d'un rite de fécondité. Nous mentionnons ce rite pour souligner que les Zuňis ont des rituels forts, persistants et complexes consacrés au maïs, à la pluie et à tout ce qui concerne l'agriculture, la nourriture et les boissons à base de céréales, y compris la bière.

 

Des jeunes filles zuñi au puits, vers 1900. Femmes et filles Zuñi en train de cuire des poteries et de plâtrer une maison vers 1900. Fabrication de pain Zuñi pour la fête vers 1900
Des jeunes filles zuñi au puits, vers 1900. Femmes et filles Zuñi en train de cuire des poteries et de plâtrer une maison vers 1900. Fabrication de pain Zuñi pour la fête vers 1900.

 

Les Zuňi maîtrisent le maltage du maïs : humidification des grains, germination au soleil, mouture du maïs germé. Matilda Coxe Stevenson, ethnologue pionnière avec son mari, est une des sources de Cherrington : « Le Ta'kuna kiu'we ("eau perles") est fabriqué à partir de maïs éclaté (Ta'kunawe) moulu aussi finement que possible. La poudre est mise dans un bol et de l'eau froide est versée dessus. Le mélange est filtré avant d'être bu. Bien que cette boisson puisse être bue à tout moment, elle est surtout utilisée par les prêtres de la pluie et les personnificateurs des dieux anthropiques lors des cérémonies. Une boisson indigène qui, selon les Zuñi, n'est pas enivrante, est faite à partir de maïs germé. Le grain humidifié est exposé au soleil jusqu'à ce qu'il germe ; on verse ensuite de l'eau dessus et on le laisse reposer pendant quelques jours. » (Coxe Stevenson 1908, 76). Une technique de brassage assez proche de celle des Apaches, mais plus ancienne.

Euphorbia serpyllifolia, une euphorbe commune et répandue formant des tapis, originaire de l'ouest de l'Amérique.
Euphorbia serpyllifolia, une euphorbe commune et répandue formant des tapis, originaire de l'ouest de l'Amérique.

Plus intéressant, cette ethnologue a donné des descriptions très précises de la technologie brassicole des femmes Zuňi. Son inventaire des plantes amylacées utilisées va bien au-delà du maïs, du blé (introduit par les Espagnols) et des haricots. Les Zuňi utilisent aussi les racines d’Euphorbia serpyllifolia pour préparer une pâte saccharifiante de la manière suivante : « La racine, qui est généralement ramassée par les hommes et portée aux membres féminins de la famille, à qui elle appartient, est réduite en morceaux et conservée dans des sacs. Après que la bouche a été soigneusement nettoyée, un petit morceau de la racine est placé à l'intérieur par chacune des femmes qui doivent faire l'édulcorant pour le repas de maïs he'palokia. La racine reste dans la bouche deux jours, sauf lorsqu'elle est retirée pour permettre à la femme de se rafraîchir et de dormir. Chaque fois, la bouche est nettoyée à l'eau froide avant que la racine n'y soit replacée. La racine est finalement retirée lorsque le processus d'édulcoration de la farine de maïs est entamé.” Les morceaux insalivés de racines sont capables de convertir l’amidon en sucres fermentescibles grâce à la ptyaline, l’enzyme salivaire. La même technique est utilisée avec de la farine de maïs : « On utilise du maïs jaune ou noir, selon les goûts. Le maïs est fraîchement et finement moulu. Avec ses doigts, la femme met dans sa bouche la quantité de farine qu'elle peut contenir. La farine n'est pas mâchée, mais retenue dans la bouche jusqu'à ce que l'accumulation de salive l'oblige à éjecter la masse, qui est déposée dans un petit bol. Ce processus se poursuit jusqu'à ce que la quantité désirée de chi'kwawe (pl.), "édulcorant", ait été préparée pour le he'palokia. Dans une large mesure, le blé germé a remplacé la farine de maïs pour sucrer le he'palokia, mais à cette fin, le blé n'est jamais mis dans la bouche.” (Coxe Stevenson 1908, 68).

La technique de brassage par insalivation peut donc être remplacée par le maltage des grains de blé. C’est la première étape. Ensuite les boulettes insalivées ou bien le malt de maïs sont mélangés avec de la farine de maïs crue pour brasser de la bière : “ Le blé germé est utilisé pour la fabrication de la he'palokia, qui consiste en une petite quantité de blé moulu et mélangé à une pâte faite de farine de blé. Des fragments de he'palokia séché, broyés aussi finement que possible dans un moulin et mélangés à de l'eau, constituent une boisson appréciée des Zuñi.” (Coxe Stevenson 1908, 71). Ce breuvage, c’est la bière de maïs que les Zuňi appellent ta kuna kiuwe (“eau-perle”). La même préparation de base (farine de maïs ou de blé + boulettes insalivées ou malt de maïs) sert à cuire des pains levés (mu´loows) ou à laisser fermenter cette pâte saccharifiée avec de l’eau pour obtenir de la bière. Les levures sont apportées par les récipients de terre cuite. Les femmes Zuňi sont des potières expertes.

Ces trois méthodes de brassage, l’insalivation (sans doute plus ancienne), le ferment amylolytique (he’palokia) et le maltage, sont un condensé historique des évolutions techniques expérimentées par les Zuňi au fil des siècles. Elles racontent aussi l’ancienneté du brassage de la bière parmi les Zuňi capables d’exploiter toutes les ressources végétales de leur environnement, y compris le blé introduit par les Espagnols vers le 17ème siècle.

Un village Zuni au Nouveau-Mexique par Ben Wittick 1897 Sur les terraces d'un village Zuñi vers 1920 Intérieur d'une maison de village Zuñi montrant l'utilisation de la poterie vers 1898
Un village Zuñi au Nouveau-Mexique par Ben Wittick 1897. Sur les terraces d'un village Zuñi vers 1920. Intérieur d'une maison de village Zuñi montrant l'utilisation de la poterie vers 1898.

Coxe Stevenson écrit qu’en 1879 le trafic de whisky (vente aux Amérindiens déclarée illégale mais jamais réprimée par les autorités U.S.) augmente auprès des Zuňi et des Navaho pendant les grandes cérémonies annuelles des Zuňis. En 1900, le trafic d’alcool a empiré (Coxe 1908, 253). Cette consommation d’alcools distillés a masqué l’existence de boissons fermentées autochtones traditionnelles très anciennes aux yeux des colons, des soldats et des quelques ethnologues ayant approchés les Amérindiens du Grand Sud-ouest au 19ème siècle, ici comme ailleurs dans les Amériques.

En 1879, un programme de développement gouvernemental mené par le mari de Stevenson introduit parmi les Zuňi des objets du monde américain, de nouvelles techniques et parmi elles des fours de cuisson en métal et de la poudre de levures de boulangerie. En quelques décennies, l’adoption des levures déshydratées modifie les méthodes traditionnelles de boulangerie et de brasserie des femmes Zuňi qui n’insalivent plus des boulettes de maïs, de blé ou d’euphorbe (Coxe Stevenson 1908, 380). Cette petite révolution montre que les Zuňi ne sont pas figés dans une tradition séculaire, comme on les présente souvent. Ce peuple amérindien et leurs voisins n’ont cessé de s’adapter avant et après la venue des Espagnols sur leurs terres. Leurs traditions brassicoles anciennes ont sans doute évolué au même rythme, mais la mémoire en est perdue à tout jamais si on excepte les quelques bribes de textes citées ci-dessus.

Les Amérindiens du Grand Sud-ouest savent aussi préparer des boissons alcooliques avec tout ce qui fermente spontanément. Tiswin a aussi servi de nom générique pour désigner des bières de maïs et des vins d’agave ou de fruits. Les Pima fabriquaient également du tesvino de maïs, et parfois du mescal, ou se fournissaient en sotol au Mexique (La Barre 1936, 232). Les peuples Tohono O'odham, Piman, Apache et Maricopa tous employaient le cactus  Saguaro pour produire un vin, quelquefois appelé tiswin ou haren a pitahaya. Le fruit de plusieurs espèces d'Opuntia, notamment 0. Tuna Mill. et 0. Ficus-Indica Haw., a également été utilisé par les Indiens du Mexique pour fabriquer une boisson enivrante, appelée colonche, de couleur rose et au goût de cidre brut. Les Coahuiltecan qui habitaient la vallée du Rio Grande combinaient le laurier de montagne avec la sève d'agave pour créer une boisson alcoolisée semblable au pulque.

Bière de caroubier, Rio Grande et Colorado.Article 13 sur 18 Les Natchez et la Compagnie du Mississippi.