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1 - Les tablettes Romano-Brittoniques de Vindolanda (1er- 2è siècles)
Les tablettes découvertes à Vindolanda ont une grande valeur historique. Certaines documentent les questions de brassage à l'époque romaine. Le fort romain a été construit à Vindolanda avant le mur d'Hadrien, lui-même commencé en 122 après JC. Cet avant-poste militaire (castrum) a été bâti pendant la campagne de l'armée romaine vers le Nord, décidée par l'empereur Hadrien. La plupart des tablettes découvertes à Vindolanda depuis 1973 sont légèrement plus récentes. Ces textes sont les plus anciens documents manuscrits de Grande-Bretagne à ce jour. Ils sont écrits sur de minces feuilles de bois avec une encre de carbone à l'eau gommée. Les documents concernent des informations militaires. Mais ils contiennent également des messages personnels en provenance ou pour des membres de la garnison de Vindolanda, leurs familles et leurs esclaves. Ils fournissent certains détails sur leur vie quotidienne et la culture matérielle d'une garnison romaine. En 2010, 752 tablettes ont été transcrites, traduites et publiées. La découverte d'autres tablettes à Vindolanda continue d'enrichir ce corpus.
Une douzaine de tablettes concernent le brassage et la bière bue par les soldats et les civils de la garnison. La plupart des soldats appartiennent à la 9ème cohorte (unité d'une légion) de Bataves dirigée par le préfet Flavius Cerialis. Ils viennent des provinces romanisées du continent. La Batavia correspond en gros aux Pays-Bas actuels. On a dit des Bataves qu'ils étaient venus en Britannia avec leur habitude de boire de la bière. Mais les habitants celtiques insulaires – les Brittons – étaient aussi brasseurs épris de bière depuis des siècles, bien avant la conquête romaine.
Les archives de Vindolanda nous renseignent sur la culture romano-britannique qui se forme en Grande-Bretagne après la conquête romaine de 43 et la création de la province de Britannia. Cette culture a fusionné les peuples indigènes brittons de langue et culture celtique avec des populations venues des provinces continentales (soldats, esclaves, artisans et commerçants), eux-mêmes soumis à la culture romaine importée par les élites militaires et administratives. Les cultures locales et continentales de la bière ont été amalgamées dans un contexte militaire. Elles se sont également frottées à la culture du vin venue d'Europe méridionale. Cela explique pourquoi la bière et le vin sont évoqués, côte à côte, sur les mêmes documents.
Le vin pouvait venir de Gaule ou peut-être du sud de Britannia, mais la bière est brassée localement et vendue par des commerçants et brasseurs civils aux autorités romaines. Les documents de Vindolanda mettent en lumière de nombreuses caractéristiques intéressantes des techniques de brassage: le maltage de l'orge ou du blé, la vente des drêches par les brasseurs, le grand volume de bière fournie à l'armée romaine, l'activité d'artisans locaux spécialisés engagés dans la production de bière, brasseurs et malteurs professionnels.
Les archives de Vindolanda démentent l'opposition, si couramment soulevée par les élites romaines et des historiens modernes, entre la culture italique du vin et la culture dite barbare de la bière. Les tablettes de Vindolanda reflètent la vie économique et quotidienne dans une lointaine province romaine nouvellement fondée, non pas le point de vue des auteurs romains lettrés vivant au cœur de l'Empire romain. Loin de Rome, les élites militaires romaines boivent de la la bière ou du vin. Les soldats autochtones boivent de la bière spontanément, mais également du vin quand ils le peuvent. Les civils locaux ou les marchands opérant pour le compte des militaires font un commerce actif des céréales de brasserie, du malt et des drêches de brasseur. Le fort et la garnison de Vindolanda attirent les marchands, les brasseurs et les consommateurs, hommes ou femmes. Ce commerce de la bière n'a pas été créé par la garnison de Vindolanda. Il existait, organisé et bien vivant, avant l'arrivée romaine, comme le prouvent les noms celtiques des brasseurs et des malteurs. La garnison est devenue un melting-pot de population celtique et romanisée, une sorte de carrefour culturel.
Exemple de tablette découverte sur le site de Vindolanda (tablette 291)
Des tablettes de bois ont été trouvées dans une vingtaine de colonies romaines en Grande-Bretagne. Un nombre important de tablettes inscrites à l'encre ont été identifiés à Carlisle, près du mur d'Hadrien (Birley 2005). Cependant, la plupart de ces sites ont plutôt produit une écriture réalisée avec des stylets en métal pointu. Le fait que des lettres aient été envoyées depuis les forts du mur d'Hadrien vers Catterick, York et Londres (Franklin 2002, 42-45) repose sur un vaste réseau de villes et de forts reliés par des voies romaines. Ces voies ne servent pas seulement de routes militaires. Elles sont utilisées pour transmettre des messages rapides (tablettes portant des comptes rendus écrits et des lettres), transporter et échanger des biens, surtout des céréales, de la viande et des vêtements. Le territoire de Britannia sous contrôle romain suggère que les données sur le brassage de la bière et le rôle de cette boisson pourraient se vérifier au-delà de Vindolanda entre les 1er et 5ème siècles, pour toute la Grande-Bretagne, à l'exception des territoires septentrionaux où vivent les peuples invaincus par-delà le mur d'Hadrien. Vindolanda se trouve précisément sur cette frontière (carte de Britannia).