La brasserie, l'intelligence, le travail et la technologie.

 

Le vin est une fermentation spontanée de jus sucrés de raisin, de fruits, de baies ou sèves diverses.

La bière est issue de l'amidon qui n'est ni liquide, ni sucré, ni fermenté. Au néolithique, les sociétés qui optèrent pour un mode de vie fondé sur l'agriculture et l'élevage durent apprendre à provoquer et maîtriser trois transformations, dans le bon ordre. 1) Liquéfier l'amidon 2) Le transformer en un jus sucré 3) Déclencher sa fermentation alcoolique.

Rien de très facile. Les techniques alimentaires furent adaptées aux caractéristiques variées de chaque source d'amidon dans le monde : graines de céréales, tubercules, fruits farineux, moelle de certains arbres et autres plantes.

 

Premier corollaire : l'amidon sert de critère pour distinguer la bière des autres boissons alcooliques fermentées : vins, hydromel, lait fermenté (alcoolique).

Second corollaire : toute boisson fermentée alcoolique à base d'amidon est une bière. Devant une boisson fermentée qui ne ressemble pas à une bière occidentale industrielle, il suffit de poser la question : de l'amidon brut a-t-il été saccharifié pour la confectionner ? L'ajout de fruits ou de sucres après cette opération (et avant ou après sa fermentation) n'a pas d'incidence sur la nature de la boisson. C'est une bière.

Troisième corollaire : toutes les bières se valent d'un point de vue technologique. C'est le point qui fâche, non pas les technologues, mais les historiens. Certains ne veulent pas accorder le statut de "vraies bières" aux bières de l'Antiquité ou aux bières indigènes traditionnelles anciennes et actuelles. Ce seraient des proto-bières, des "beer-like", sortes de bière primitives. Plus grave, les bières de riz millénaires brassées en Chine (jiu) ou au Japon (saké) sont systématiquement rebaptisées "vins de riz" pour rester fidèle aux traductions occidentales des classiques de leur littérature. Conséquence : l'histoire mondiale de la bière serait amputée du continent asiatique, privée d'études comparatives fondamentales sur l'économie et le rôle social de la bière depuis la plus lointaine antiquité.

 

La bière est un produit de l'intelligence humaine, le vin un don des dieux.

 

Confirmer ou infirmer cette sentence, c'est questionner l'origine des boissons fermentées et démasquer les idées préconçues. C'est aussi le moyen de s'assurer que le projet d'une Histoire Générale de la Bière repose sur un terrain solide. L'histoire d'un objet matériel – fût-il technique et désaltérant comme la Bière – qui n'aurait pas d'autre existence qu'une convention linguistique ou culturelle, forgerait une chimère !

La question des origines de la "bière" est fondatrice. Y répondre exige de rassembler les matériaux et demande de vastes détours. Ce voyage indispensable dans le temps et les techniques de brassage doit répondre aux questions suivantes :

1 - L’inventaire des anciens procédés de brassage à travers le monde, aussi loin qu'on puisse les reconstituer, plaide-t-il en faveur de schémas inventifs, indice d'une certaine intelligence technique, ou penche-t-il en faveur de recettes primitives invariables et aveuglement répétées jusqu'à l'avènement de la brasserie moderne ? Une idée tenace parcourt les études historiques de la bière jusqu'à nos jours : avant l'avènement de la brasserie moderne occidentale (disons fin 18ème siècle européen), c'est la préhistoire des brouets mal fermentés, des cervoises, des "bières" ragoûtantes. L'historien en parle, mais n'imagine pas en boire (sauf mention particulière des bières monastiques réputées saines et gouleyantes). Les documents anciens disent tout autre chose. Babyloniennes, égyptiennes, chinoises, indiennes, et plus près de nous africaines, amérindiennes ou tibétaines, les techniques de brasserie sont sophistiquées, adaptées aux contextes de production et non monotones. Quant aux bières produites, elles sont délicieuses !

2 - Les premières bières sont-elles apparues au hasard des accidents naturels (bol de grains détrempés soumis à une fermentation spontanée !) ou coïncident-elles avec certains stades d'évolution sociale et technologique des communautés humaines (poterie, agriculture, village, greniers, etc.) ?

3 - Retour à notre question initiale : définir la Bière. Nous en proposons une, fondée sur les seuls processus biochimiques. Elle s'écarte des définitions fiscales et contingentes, variables au gré des législations nationales. Inapplicables aux bières du passé, elles font obstacle à leur histoire mondiale.

 

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01/04/2013  Christian Berger