Brasseurs et ingénieurs brasseurs.

 

 

Trois évolutions témoignent, parmi d'autres moins marquantes, de l'évolution rapide du métier de brasseur à partir des années 1870 :

  1.  Le laboratoire fait son entrée dans la brasserie.
  2.  L'ingénieur-brasseur remplace le brasseur traditionnel.
  3.  La filière de la brasserie industrielle s'organise autour d'Instituts, d'Ecoles, de journaux et de congrès annuels réservés à la profession. 

 

Le laboratoire de contrôle, version réduite du laboratoire de recherche, fait son entrée dans les brasseries. Un corpus de connaissances scientifiques et techniques nouvelles a vu le jour dans le domaine de la malterie-brasserie. Cette accumulation est en partie le fruit des contributions savantes des brasseurs eux-mêmes. Ces nouveaux savoirs inaugurent l'ère de la brasserie scientifique. Ils incluent la biologie, la chimie, la mécanique et les machines, la conversion de l'énergie (chaleur, électricité, travail mécanique, refroidissement artificiel), l'optimisation des processus, la gestion du travail, les risques liés au capital, etc.

Conséquence directe, l'ingénieur remplace le brasseur traditionnel formé par la chaîne des apprentissages. L'ingénieur se forme dans des Instituts spécialisés et introduit en brasserie de nouvelles méthodes, procédés et matériels. Chaque grand pays industriels crée ses Ecoles de Brasserie et ses Instituts de recherche. Ces initiatives ne sont pas dépourvues d'arrière-pensées commerciales et politiques.

Les journaux spécialisés fleurissent, organes de publication d'organismes professionnels qui regroupent les malteurs, brasseurs, distributeurs de bière et constructeurs de matériels industriels. Dans chaque pays, une filière industrielle s'organise pour la Brasserie. Parallèlement, des périodiques dédiés à la recherche en Brasserie voient le jour.

 

Le laboratoire de la fondation Carlsberg est crée à Copenhague en 1876 par le brasseur danois Jacob Christian Jacobsen en 1875. Il s'est formé au brassage de fermentation basse auprès du maître-brasseur Sedlmayr à la brasserie munichoise Spaten.

Après avoir introduit le concept et la technologie pour cultiver des levures pures à la brasserie Carlsberg en 1883, le biologiste Emil Christian Hansen et ses idées sont vite appliquées par d'autres brasseurs. En dix ans, les dispositifs de propagation de levures pures de Hansen sont installés dans 173 brasseries de 23 pays différents[1]. Entre temps, Alfred Jorgensen avait fournit à quelque 65 autres brasseries en Europe des souches de levures pures depuis son laboratoire de Copenhague.

 

Les cours de brasserie débutent àWeihenstephan (Bavière) en 1865 avec 8 étudiants et un enseignant, Carl Lintner[2]. Le plus impressionnant est l'Institut de Recherche et d'Enseignement pour le Brasserie (VLB) de Berlin, fondé en 1883 par Max Delbrück. Au congrès de la brasserie allemande un an plus tard, Delbrück annonce "avec l'épée de la science et de l'armure de la pratique la bière allemande encerclera le monde". L'Allemagne est alors déjà le premier producteur mondial de bière, après avoir dépassé le Royaume-Uni.

En 1873, la « Spolek pro prumysl pivovarský v království Ceském (SBIKB) » (Association pour l'industrie brassicole du Royaume tchèque) est fondée à Prague. Elle coordonne et défend les intérêts de la profession et crée un Institut technique de recherche sur la brasserie à Prague.

Des Institutions similaires apparaissent au même moment en Autriche (Vienne) où de fortes relations commerciales et techniques avec les brasseurs thèques étaient actives depuis des siècles. A cette époque, les brasseries en Autriche et en Bohême et les brasseurs travaillaient au sein du même Empire Austro-Hongrois.

De semblables fondations pour promouvoir la brasserie voient le jour en Suisse.

En France, les souhaits de Pasteur pour une alliance science-industrie sont entendus. La France ne fonde pas un grand laboratoire de recherche pour la brasserie, mais une Ecole de Brasserie et Malterie en 1892 à Nancy pour former son personnel. Le lien entre science pure (Université de Nancy fondée en 1854) et industrie est renforcé.

Aux Etats-Unis, John Ewald Siebel, un immigrant allemand, fonde un laboratoire à Chicago en 1868, qui devient le Zymotechnic Institute en 1872. Siebel ouvre une école pour les brasseurs en 1882. Ce qui deviendra plus tard The Master Brewers’ Association of the Americas est fondée en 1887.

En Grande-Bretagne, l'éducation était sur une base moins inventive. Les brasseurs apprentis pris comme élèves recevaient une formation sur le tas avec frais de scolarité. Ce système a survécu après la Seconde Guerre mondiale. Il n'existait pas d'école de brassage en Angleterre avant 1900. Grâce au soutien financier d'un brasseur local, William Butler Waters, des classes ont commencé à l'Université de Birmingham qui venait d'ouvrir. Une formation de Brasserie à commencé en 1904 au Collège Heriot-Watt d'Edimbourg.

 

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A partir de 1860, les périodiques spécialisées prolifèrent et répandent la bonne parole. Les uns sont des journaux professionnels, les autres des revues scientifiques de haut niveau.

L'Allemagne ouvre le chemin. Allgemeine Brauer- und Hopfen- Zeitung (connu aujourd'hui sous le nom de Brauwelt ) est créé en 1861 à Roth près de Nuremburg. Le journal de Carl Lintner Bayerische Bierbrauer paraît en 1866.

En Grande-Bretagne, Brewers' Journal paraît en 1865 et le Brewers' Guardian en 1871. Les Transactions of the Laboratory Club, qui deviendra le The Journal of the Institute of Brewing, sont publiées la première fois en 1886.

L'année de fondation du SBIKB (1873), Antonín Stanislav Schmelzer (1844–1902), professeur de la Première Ecole Publique de Malterie, fonde et soutient le périodique technique de brasserie Kvas (Ferment), qui devient le périodique officiel de la SBIKB (cf. supra)[3].

The Australian Brewers Journal est lancé en 1882. Le Petit Journal du Brasseur paraît en Belgique en 1892. Le premier numéro de De Bierbrouwer est publié aux Pays-Bas en 1895. Chaque industrie nationale de la bière dispose rapidement en Europe d'au moins une revue professionnelle.

 

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A l'échelle du continent européen, les expositions universelles organisées à partir de 1851 consacrent la prospérité et le dynamisme de ce secteur économique. Chaque pays met en vitrine ses fleurons nationaux parmi lesquels la brasserie se taille la part du lion. Les brasseurs de chaque pays financent leur pavillon national, exposent leur produit, font déguster leurs bières, et négocient des contrats de coopération avec leurs homologues.

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[1] Anderson Ray 1993, Highlights in the History of International Brewing Science. Ferment. 6:191-198. Cité par Anderson R. 2005, The Transformation of Brewing: An Overview of Three Centuries of Science and Practice, Journal of the Brewery History Society 121, pp 5-24.
http://www.breweryhistory.com/journal/archive/121/bh-121-005.htm

[2] Kruger R. 1990, The History of Weihenstephan. Brauwelt International 4:296- 297.

[3] Cernohorská Marie, František Frantík 2005, One Hundred Eighteenth Anniversary of Research Institute of Brewing and Malting, KVASNÝ PRUMYSL 51:4, 136-140. Le Journal KVASNÝ PRUMYSL prend la suite en 1992 du périodique KVAS fondé en 1873 et connu sous divers titres successifs selon les changements de régimes politiques (Kvas i.e. Ferment, Der Bömisch Bierbrauer i.e. version allemande de Kvas, Gambrinus, Journal of Brewing and Malting, and finaly Journal for Brewing, Malting and Beverages Industry depuis 1992).

20/09/2012  Christian Berger