Le Coran et les boissons fermentées.

   

Dans la péninsule arabique pré-islamique, on boit de nombreuses boissons fermentées : vin de busr, tamr, fadikh, zahw (sortes de dattes pour obtenir du nabid [1]), bières d'orge et de blé.

Des versets de 4 Sourates différentes évoquent dans le Coran (qui compte 114 Sourates) la question du comportement des hommes et des croyants à l’égard des boissons fermentées. La Parole divine a été révélée au Prophète selon un ordre et une progression temporelle qui conditionne la portée des Sourates dont certaines reprennent les mêmes sujets[2]. C'est le cas des boissons fermentées. Le texte et le sens d’une sourate peut modifier profondément celui d’une sourate antérieure dans le temps de la révélation. La sourate dite « La Table servie » prescrit l’abstention de boissons fermentées pour tout croyant, et modifie le contenu des 2 sourates « Les Abeilles » et « La Vache » qui enjoignaient à tout croyant de s’écarter des produits alcooliques sans les proscrire formellement. La plus ancienne sourate (Les Abeilles) fait un éloge des boissons fermentées, du moins comme boissons et nourritures agréables tirées des fruits, du palmier et de la vigne offerts à l'humanité par le tout-puissant Créateur (liste des sourates).

Voici les versets extraits de ces 4 sourates dans l'ordre chronologique de leur révélation à partir de l'an 610 :

 

Sourate 16 dite an-Naḥl  (Les Abeilles) (La Mecque avant l'émigration) :

(v. 69) « Parmi les fruits, vous avez le palmier et la vigne, d'où vous retirez une boisson enivrante et une nourriture agréable. Il y a dans ceci des signes pour ceux qui entendent ».

 

Sourate 2 dite al-Baq̈arah (La Vache) (Médine/Yathrib, après 622) :

(v. 216-219) « Ils t'interrogeront sur le vin et le jeu. Dis-leur : L'un et l'autre sont un mal. Les hommes y cherchent des avantages, mais le mal est plus grave que l'avantage n'est grand [...] ».

 

Sourate 4 dite an-Nisāʾ (Les Femmes) (Retour à la Mecque après 630) :

(v. 46) « 0 croyants! Ne priez point en état d'ivresse; attendez de pouvoir comprendre les paroles que vous prononcez; ni en état d'impureté. ».

 

Sourate 5 dite al-Māʾidah (La Table pourvue) (la 112ème sourate selon la tradition, voire la dernière et 114ème d'après R. Blachère) :

(v. 90-91) « O croyants! L'alcool, le jeu d'argent, les bétyles, les flèches (divinatoires) sont une abomination inventée par Satan; Écartez-vous en, dans l'espoir d'être triomphants.
Satan ne veut qu'embusquer parmi vous la haine et l'exécration sous forme d'alcool et de jeux d'argent, vous empêcher de rappeler Dieu et de prier. N'allez-vous pas en finir ?
».

 

D'après le principe d'abrogation qui régit la réception et l'application du Coran, la sourate 5, chronologiquement la dernière au sujet des boissons fermentées, s'applique et rectifie les versets des sourates précédemment révélées sur le même sujet. Selon la sourate 5, un seul principe doit guider la conduite du musulman : s'abstenir de boire des boissons fermentées. Il doit également s'en éloigner, c'est à dire ne pas participer à leur fabrication ou leur vente, même s'il n'en consomme pas lui-même.

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[1] Le nabib (نبيد) est un vin de palme, une variété plus forte du vin de palme ordinaire sharbut ( شربوت ) fait de nos jours au Soudan, en particulier dans le Dar al-Manasir. Mais le nabib désigne aussi une bière faite avec des grains de sorgho fraîchement germés, séchés puis trempés avec des dattes. Les fruits du dattier déclenchent la fermentation alcoolique, grâce aux levures sauvages qui recouvrent les dattes. Le nabib se range parmi les boissons fermentées mixtes, mi-bière de sorgho, mi-vin de dattes.

[2] La lecture du Coran se complique un peu si l’on sait que les sourates ont été ordonnées selon la longueur de chacune, de la plus longue à la plus courte (sauf la première), et non selon l’ordre chronologique de leur révélation. Les premiers textes de référence, postérieurs à la mort de Mahomet, ne séparent pas les versets. La première recension de la parole du Prophète date de 633, demandée un an après sa mort par le calife Abû Bakr. Le calife Uthmân (644-656) commande une version écrite de la Récitation des sourates (qara'a = lire, réciter, d'où le Coran) à la communauté des compagnons du Prophète, version qu'il veut rendre officielle pour éviter les divergences. Il la fait copier et placer dans les grandes villes de l'époque (Médine, Bassorah, Koufa, Damas) et ordonne la destruction des autres versions écrites, même celle d'Ibn Mas'oud, compagnon de Muhammad. La dynastie des Omeyyades fait introduire en 750 des signes écrits supplémentaires (diacritiques) pour aider la lecture du Coran par les peuples non arabophones nouvellement convertis, notamment la prononciation des voyelles. En 934, Ibn Moujâhid officialise 7 lectures différentes et autorisées du Coran correspondant aux lectures de 7 docteurs du 8ème siècle. De nos jours, 2 lectures sont les plus courantes : celle de Nâfi' en Afrique et celle d'Âsim, base de l'édition égyptienne de 1923. Cette recension égyptienne divise le Coran en 114 sourates et 6226 versets de cette façon : la sourate Fâtiha, prière liminaire, les sourates révélées à Médine, puis celles révélées à La Mecque. Les sourates médinoises énoncent les règles sociales et le comportement que doivent adopter les musulmans. Parmi elles se trouvent les 4 sourates dont certains versets traitent des boissons fermentées.

18/06/2012  Christian Berger