L’empire des Maurya, la brasserie et l'alcool.

 

 

L’Arthashastra développe un thème récurrent : l'alcool, le sexe, le jeu et la chasse sont sources de désordre social et de corruption des êtres humains. Ce sujet est véhiculé par les conceptions védiques et bouddhistes.

Le Livre VIII, Chap. 3 (Somme des ennuis des hommes) se construit sur une conception à la fois religieuse et politique. Les sources de la corruption sont à combattre sur le plan moral, mais une politique réaliste doit les utiliser comme moyens infaillibles de vaincre ses ennemis.

« Les quadruples vices provoqués par le désir sont la chasse, le jeu, les femmes et la boisson (surā). ».

 

Le verdict de Kautilya, auteur présumé de ce traité, est sans appel. Les vices seront combattus par ordre de nocivité : les boissons fermentées d'abord, le sexe, le jeu et enfin la chasse.

Mais ce qui cause le désordre à l'intérieur de l'empire sera employé pour affaiblir les ennemis du pouvoir impérial. L’Arthashastra regorge de stratagèmes qui utilisent l'ivresse et les boissons fermentées pour tromper les adversaires militaires ou politiques. Dans ce contexte, les diverses sortes de bière (surā) plus ou moins fortes et parfumées, saines ou empoisonnées, deviennent des armes.

 

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Des situations intermédiaires existent entre la brasserie au sein d'un royaume et la brasserie de type impérial. Un empire peut conquérir et intégrer des royaumes sans faire disparaître toutes leurs caractéristiques. Inversement, un empire disloqué laisse revivre des politiques et traditions locales, alors tentées de revenir vers un système de redistribution de la bière et des grains en nature, pour ne citer que cet exemple.

En réalité, chaque nouvelle organisation apparue au fil des histoires humaines (tribu, clan, chefferie, royaume, confédération, empire) ajoute sa propre strate. A l'image de cet empilement historique, la brasserie évolue sans cesse sur les 3 plans qui sont les siens : l'économie des grains (des sources d'amidon en général), les techniques de brassage, la gestion (idéologique/religieuse) de l'ivresse. Le témoignage livré par l'Arthashastra met particulièrement en évidence ces 3 niveaux de gestion de la brasserie au sein d'un projet politique de type impérial.

En 185 av. n. ère, le dernier des Maurya est assassiné par son propre général en chef : la dynastie des Sunga prend le pouvoir. Affaibli, l'édifice impérial perdure néanmoins dans le Nord et le bassin du Gange. Des royaumes de l'Inde méridionale, comme celui des Pandyas, recueillent une partie de cet héritage économique et politique, en particulier son dynamisme commercial[1]. L'empire se fragmente en une myriade de royaumes qui se combattent.

Mais l'influence historique des Maurya se prolonge jusqu'à l'empire Gupta, fondé quatre siècles plus tard (250-550) et considéré par les historiens comme son principal héritier. La fin des Maurya n'a pas signé la disparition complète de l'organisation impériale sur le continent indien. Il sera intéressant d'examiner comment la gestion des boissons fermentées décrite par l’Arthashastra a survécu parmi les entités politiques nées du morcellement de l'empire Maurya. Une gestion directe des grains et des bières signifiera le retour vers une administration de type palatiale gouvernée par des monarchies locales.

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[1] Khanna Vikramaditya S. 2005, The Economic History of the Corporate Form in Ancient India.

02/05/2012  Christian Berger