Seconde réplique de Bière-Chang à ThéArticle 5 sur 7 Le Jugement d'un roi sage tibétain

Arbitrage d'un roi bouddhiste entre Bière et Thé.

 

Le roi administre une belle leçon de bouddhisme appliquée au casus belli :

« Thé et Chang sont dans une guerre sans précédent. La principale cause de cette situation, la racine de leurs arrière-pensées, est de nouveau causée par l'attachement à soi-même. Cet arbre a donné vie à d'autres branches d'illusions : attachement passionnel aux idées fausses, ainsi que diverses autres branches et fleurs. Depuis des temps immémoriaux jusqu'à nos jours, il  a conduit à la jouissance de l'existence cyclique, mais bien sûr cela a entraîné la souffrance. Par conséquent, la racine de l'agrippement à soi-même doit être coupée par la hache de la connaissance et de la sagesse. Les branches du "s'accrocher à soi-même" et d'autres devraient être sciées en morceaux. Les feuilles de la mauvaise perception de l'attachement et de la haine doivent être éclairées par le soleil de la sagesse. Si la réalisation des états inférieurs de la naissance et les expériences du s'auto-agripper retournent à leur état naturel, alors les "84.000 soldats de l'armée" des trois désolations empoisonnées[1] seront attaqués et complètement vaincus. Alors, la grande armée du corps du Grand Bouddha Bienheureux triomphera: l'ensemble du déroulement ressemble au retour d'un lapin dans son trou. »

 

Le roi bouddhiste pose le cadre : Chang et Thé sont sous l'empire de l'ignorance et d'Ego. Ignorance de la grande loi des "causes et effets". Ni Bière ni Thé ne sont causes des prodiges, des bénéfices ou des préjudices qu'ils revendiquent ou dénoncent. Les êtres humains sont seuls responsables de leurs comportements dans leur vie actuelle, et par leurs existences antérieures. Chang n'est pas responsable de l'ivresse, du trouble de l'esprit, de la perte de clairvoyance, mais le buveur oui. Idem pour Thé. Que faire ? Condamner Chang ou Thé : non sens. Eclairer les esprits, comprendre, compatir, c'est la voie du Bouddha. Le roi s'attache d'abord à séparer le vrai du faux dans toutes les proférations de Chang et Thé.

 

Au discrédit de Chang :

  •    De Mère-Orge-Blanche provient certes la Bière. Mais la force des Lamas, Yidams, Dakinis et Protecteurs de la Doctrine ne découle ni de leurs offrandes de bière ni des boissons qu'ils boivent, car ils se sont libérés de la soif et de la faim. Leur force vient de ce qu'ils acceptent toutes sortes d'offrandes de la part des laïcs (y compris des jarres de bière-chang), en vue d'ouvrir à ces êtres humains la porte à l'acquisition de mérites. Donc, ignorance de Chang.
  •    Aux temps anciens, les Tibétains se sont vus offrir par les divinités 5 sortes de graines, dont ils ont tirés la bière[2]. Cette grande ancienneté de la bière ne lui attribut aucune prérogative sur le thé venu plus tard. Du temps des rois tibétains protecteurs de la foi, la bière était seule honorée y compris pour les rituels bouddhistes. Mais déjà du temps de Mila et Dagpo Lhaje, le thé récemment introduit dans le pays sert aux auspices. Ces deux boissons sont des moyens d'existence, pas des fins en soi. Chang ne peut tirer aucun statut spécial de sa longue histoire. Désormais, thé et bière font partie des 5 offrandes liquides des laïcs.
  •    Chang apporte intelligence, courage et joie. Mais l'abus de chang provoque les pires maux. Chang est coupable d'avoir omis ces conséquences, par ignorance. Si à l'avenir les amoureux du chang se refreinent, ce mensonge par omission sera de nouveau soupesé.
  •    Mêler du sel et du beurre au thé ne provoque pas l'appauvrissement du pays. Il est exagéré de dire que moines, mères et jeunes femmes, se cachant l'été pour boire du thé, épuisent quand il fait chaud les réserves alimentaires qui manqueront en hiver.
  •    Chang est responsable des actions commises sous son influence : défaite des dieux imbibés de bière-chang face aux Asuras, meurtre du roi historique et bouddhiste Tri Ralpachen (704-797). Mais l'épisode du disciple ivre de bière du Bouddha ne sera pas jugé 2 fois : le Bouddha lui-même en a tiré les conséquences sous forme d'un enseignement et d'une règle monastique. Même un roi ne revient pas là-dessus.
  •    Thé ne peut être assimilé à l'arbre-seshing toxique, sauf par tromperie.
  •    Chang est l'amrita des textes canoniques indiens et des sastra, boisson des rituels et des offrandes, mais pas le nectar (dutsi) contenu dans le bol sacré de Tara, déesse de la méditation. Encore moins le nectar céleste qui conféra aux Asura tellement de force que ni Brahma ni Indra et les autres dieux ne purent en venir à bout. « Après une goutte de ce nectar céleste, on devient très puissant et magnifique, mais après avoir bu du chang, bien que l'on devienne fort, on perd la capacité de respecter le corps d'autrui et on se jette contre un mur en frappant sa tête. Parfois, on tombe même dans un fossé, blessé ou plein de malheur, et ainsi de suite. Par conséquent, vous ne pouvez pas comparer vos qualités aux qualités de ce nectar céleste. » Démesure coupable de Chang.

 

Au discrédit de Thé :

  •    Thé prétend descendre de l'Arbre de la Cogitation et de l'Arbre de l'Eveil. Aucune preuve de cela ne se trouve dans le corpus bouddhique ou les Pramana (corpus des connaissances véridiques). Mensonge de Thé.
  •    Les feuilles récoltées en été, automne et hiver ne sont pas 3 sortes de thé du même arbre, mais 3 états des mêmes feuilles. Tromperie de Thé.
  •    Thé prétend être la racine de vie de tous les croyants. Le pur Dharma peut seul posséder cette qualité. Stupidité de Thé.
  •    Chaque exemple historique d'incompatibilité entre la bière et le bouddhisme sont le fruit d'une mauvaise interprétation de Thé. Bouddha interdit la bière à ceux qui suivent la Voie, mais eux seuls car elle assoupit plus qu'elle n'éveille le buveur. Atisha renvoie Matripa du jardin de ses disciples, non à cause du chang qu'il a bu, mais pour partir plus tard avec lui au Tibet propager la Doctrine. Birwapa stoppe la course du soleil le temps de payer à la tavernière le prix de toute la bière-chang qu'il a bue, mais ce miracle vise à convertir les habitants du pays au bouddhisme, pas à jeter l'opprobre sur la taverne. Ignorance de Thé quant au sens véritable de ces vies exemplaires.
  •    Tous les accidents que Thé impute à l'excès de bière parmi les cours royales ne sont pas prouvés. Langdarma, qui assassina son frère et roi, était réputé pour son goût de l'alcool, sa violence et son hostilité au bouddhisme. Sa mauvaise nature est cause des malheurs qu'il provoqua, pas la bière dont il abusait. Tromperie de Thé.

 


[1] Les 3 attitudes vénéneuses humaines : le Désir, l'Aversion et l'Ignorance.

[2] L'expression "5 sortes de graines" est d'origine indienne. Mais on la trouve également en Chine classique où les "6 graines" sont : millet (2 sortes), blé/orge, riz, chanvre et soja.

Seconde réplique de Bière-Chang à ThéArticle 5 sur 7 Le Jugement d'un roi sage tibétain