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5 - Malt, malteurs et maltage à Vindolanda (tablettes 191, 343, 348, 646).
Braces signifie une céréale traitée pour la fabrication de la bière (à trois reprises dans les tablettes: voir les éditeurs sur T. 343.25). Pline sait que le mot Braces était employé en Gaule, pour lequel il donne scandala comme synonyme familier italique : "Galliae quoque suum genre Farris dedere, quod illic bracem uocant, apud nos scandalam, nitidissimi grani" (Histoire Naturelle XVIII.11, De farre. "Les Gaules ont aussi leur espèce de far, qu'on y nomme brace, chez nous sandala. Le grain en est très blanc."). Sandala est lui-même un mot non-littéraire étranger à la culture latine. Il a été romanisé en Italie du Nord et dans la péninsule ibérique. Braces était pour Pline une curiosité linguistique (un provincialisme); mais à Vindolanda, c’est un mot usuel visant une réalité quotidienne ordinaire. Les tablettes confirment que bracis n’a pas de racine latine. Bracis est assimilé par Pline à "far" (épeautre / engrain). Mais les textes de Vindolanda donnent un autre sens. Bracis existe en ancien irlandais et survit en ancien français, indice supplémentaire de son origine gauloise / celte. Pour les rédacteurs des tablettes, bracis est un mot celte. Braces signifie «ingrédient de brasserie» pour le TGL (« Braces sunt unde fit cervisia ») et « malt » dans les glossaires anglo-saxons. Le lien technique entre bière et braces devient évident.
Un autre indice est offert par la tablette 646 qui nomme un braciarius. La racine celte bracis désigne le malt de brasserie, comme on le déduit de ses représentants irlandais, gallois et cornique. Bracis a de nombreux dérivés, par exemple l'ancien français "brais" pour "grains préparés en vue de brasser la bière". Le verbe *braciare se réfère également au même domaine sémantique et signifie « brasser, préparer des céréales pour le brassage ». Dans les dictionnaires médiévaux, un large éventail de termes techniques découle de bracis, tous associés à la brasserie: braciarius lui-même, braciator, braciatrix, braciatorium, braciare, braciarium, braciatura. Voir § 6 pour les mots composés [radical]-arius ayant le sens d'artisan impliqué dans la production ou le soin de [radical]. Si Braces désignait une simple céréale, le dérivé braci(s)-arius signifiant une profession serait inutile. Aucun métier spécifique ne traite une céréale en particulier. Braces ou Bracis désigne une céréale transformée par maltage (orge, blé, avoine, épeautre, seigle, etc.) et ses dérivés le métier de malteur ou de brasseur et les équipements liés à la malterie ou la brasserie.
T. 646 est une lettre : « Montanus à Optatus, son frère, salut … si tu as l'occasion de vendre … Je prie que tu sois en bonne santé … Adieu. (Verso) A Vindolanda. Pour Optimus le malteur de Montanus son frère » (Bowman, Thomas 2003, 102).
Un autre terme celtique, ceruesa (bière), a son dérivé ceruesarius (brasseur). L'origine celtique du mot ceruesa suggère que la brasserie a été l'affaire de la population locale. Puisque les mots celtiques apparentés bracis et ses continuateurs plus tardifs de la période médiévale sont si solidement liés aux activités de la brasserie, nous concluons que bracis à Vindolanda était un grain utilisé spécifiquement pour la bière. Bracis désigne le malt, mais aussi les grains préparés pour le procédé de brassage, comme les galettes ou pains à bière et autres semoules cuites. Cuire l'amidon des grains crus est une étape technique indispensable pour brasser de la bière. Ces grains cuits complètent le malt dont la confection est longue et coûteuse.
Le braciarius n'est pas seulement un marchand de grains, mais celui qui fournit aux brasseurs des matières premières de brassage et des produits semi-finis comme le malt. On peut supposer que le métier du ceruesarius était plus général que celui de braciarius, dénotant l'entrepreneur qui supervise toute la brasserie et la fourniture du produit fini. Braciarius indiqué celui qui travaille à la production du Braces. Ceruesarius peut se traduire par brasseur-marchand de bière, braciarius par malteur (Adams 2003, 563), avec la réserve ci-dessus (le malt n'est pas l'unique fourniture destinée au brasseur). La tablette 595.3-4 parlerait d'un braciarium = malterie, mais sa lecture est incertaine et le texte lacunaire (Bowman, Thomas 2003, 52-53; suggestion de Max Nelson).
La tablette 191 est un compte de viande, malt (braces) and autres denrées. Elle se rapporte vraisemblablement à l’administration domestique du praetorium. Pour le preatorium, voir l’introduction de la tablette 194 sur la page vindolanda.csad.ox.ac.uk/TVII-194. A la ligne 16, bracis apparaît pour un volume (en modii) ou une valeur (en denarii) inconnus.
Tablette 191 | ||
---|---|---|
1 | ] in p[ | "dans ... |
2 | ]s (denarios) [ | ... denarii ... |
3 | condimen[t- | épices ... |
4 | capream [ | chevreuil ... |
5 | salis .[ | de sel ... |
6 | porcellum [ | porcelet ... |
7 | pernam .[ | jambon ... |
8 | in p[ | dans ... |
9 | frumen[ti | de blé ... |
10 | ceruin[am | venaison ... |
11 | in p.[ | dans ... |
12 | ad condit[ | pour condiment (?) |
13 | caprea[ | chevreuil ... |
14 | [[s(umma) (denarii) [ ]] | [[total, denarii ...]] |
15 | ?s(umma) (denarii) xx [ | total, denarii 20+ |
16 | bracis .[ | de malt ... |
17 | (denarios) i[ | denarii ... |
18 | .um[ | total (?) ..." |
La tablette 348 est un fragment d’une lettre concernant la vente de malt. La lecture de brace à la ligne 2 est assurée. Après ce mot, la construction semble requérir quam, mais la lecture des lettres qu est incertaine.
Tablette 348 | ||
---|---|---|
1 | traces fecisse c..[ | … to have done [ |
2 | de brace qu.. adscribis uen- | about the malt, which you are assigning |
3 | dendam adhuc mem...em | for sale ... |
La tablette 343 est une lettre intégrale d’Octavius à Candidus concernant la fourniture de blé, de malt, de peaux et de tendons. Cette lettre est remplie de termes commerciaux latins et d’indications d’une activité d’entrepreneur. Les sommes d’argent et qunatités de marchandises en jeu sont importantes. On réclame à Candidus 500 denarii et Octavius en a engagé 300 (une année de solde pour un miles gregarius à cette époque). Octavius et Candidus sont impliqués dans la fourniture de biens sur une large échelle et dans un contexte militaire. 5000 modii de céréales et des peaux par centaines peuvent difficilement être destinés à un autre marché. Octavius, quel qu’il soit, achète des céréales de sources locales. Les peaux doivent provenir du secteur militaire, car les tanneries ne pouvaient pas fonctionner à cette échelle en dehors de lui. La référence aux peaux provenant de Cataractonium coïncide avec la découverte archéologique d’une grande tannerie opérant à cet endroit entre les années 85 et 120. Birley (1994, 60) a suggéré que les personnes mentionnés par la tablette devaient être des centurions de la légion.
La traduction complète de cette longue lettre fournit le contexte nécessaire pour comprendre en quoi bracis excussi doit désigner le « malt sans radicelles », et non l'amidonnier battu ou une céréale inconnue. Cette traduction est donnée par le site web des Tablettes de Vindolanda vindolanda.csad.ox.ac.uk/TVII-343. Comme bracis signifie le « malt » (voir ci-dessus), bracis excussi designe un malt (vert) battu ou secoué pour retirer ses radicelles séchées. Le bracis excussi entre comme produit de première qualité pour la brasserie. Excussi vient de excutio qui signifie « secouer, frapper (quelque chose), faire sortir (de quelque chose) ». L'opération désigne le battage des céréales brutes ou des épis, mais aussi le battage des grains germés séchés (le malt). Excutio n'est pas un terme technique pour le battage. Son sens général est « séparer une partie d'une moisson du reste en secouant, frottant ou pressant ». Dans le cas du malt, les grains germés sont étendus en fine couche pour séchage à l’air, puis battus ou frottés entre les mains pour enlever les radicelles sèches. Le malt obtenu est ensuite livré aux brasseurs. L’aire de battage en plein air s'adapte parfaitement à cette opération : battre, secouer ou frotter le malt séché pour enlever les radicelles indésirables qui donnent à la bière une amertume très désagréable. Octave pourrait être un malteur, ou agir en tant que fournisseur de malt, en plus d'être un marchand de grains. Sa lettre parle de 119 modii de malt fini, c'est à dire 1.026 litres.
« Octavius à son frère Candidus, salut. La centaine de livres de tendons de Marinus - je m’en contenterai. Tant que vous avez écrit sur ce sujet, il ne m’en a même pas parlé. Je vous ai plusieurs fois écrit que j'ai acheté environ 5.000 modii (43,1 hl) d'épis de céréales, raison pour laquelle j'ai besoin de trésorerie. Sauf si vous m'envoyez un peu d'argent, au moins 500 denarii, le résultat sera que je vais perdre ce que j'ai donné en dépôt, environ 300 denarii, et je serai gêné. Alors, je vous le demande, envoyez-moi un peu d'argent dès que possible. Les peaux au sujet desquelles vous écrivez sont à Cataractonium - écrivez qu’elles me soient données ainsi que le chariot au sujet duquel vous écrivez. Et écrivez-moi ce qui est avec ce chariot. Je les aurais déjà collectées, sauf que je n'avais pas envie de blesser les animaux tant que les routes sont mauvaises. Voir avec Tertius les 8 ½ modii qu'il a reçus de Fatalis. Il ne les a pas crédités sur mon compte. Sachez que j'ai terminé les 170 peaux et que j'ai 119 modii de malt battu [[25] clxx et bracis excussi habeo [26] m(odios) cxix]. Assurez-vous que vous m'envoyez de l’argent afin que je puisse avoir des épis de grains sur l'aire de battage. Par ailleurs, j'ai déjà fini de battre tout ce que j'avais. Un commensal de notre ami Frontius a été ici. Il voulait que je lui attribue (?) des peaux, et cela étant, était prêt à donner de l'argent. Je lui ai dit que je lui donnerai les peaux au 1er mars. Il a décidé qu'il viendrait le 13 janvier. Il ne s'est pas présenté et il n'a pris aucune peine de les obtenir car il avait eu des peaux. S’il avait donné l'argent, je les lui aurais données. J'ai entendu dire que Frontinius Iulius a (des peaux) à vendre au prix fort pour faire du cuir, (peaux) qu’il a achetées ici pour cinq modii pièce. Saluez Spectatus et ... et Firmus. J'ai reçu des lettres de Gleuco. Adieu. (Retour) (Envoyé) à Vindolanda ».