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Les Hollandais sur les rives de l’Hudson en 1613.
En 1609, l’Anglais Hendrick Hudson explore la côte de la baie de New York pour le compte de la Dutch East India Company et remonte le fleuve qui porte son nom. Le Journal de bord raconte la première rencontre avec les Indiens Mohagan (Delaware). Hudson offre une bouteille de gin à laquelle les Indiens ne touchent pas, jusqu’à ce que le cacique en boive ne pouvant refuser un cadeau. Il tombe de stupeur puis reprend conscience et raconte ses merveilleux rêves avant que tous y goûtent. L’île est surnommée Manahachtanieck, celle où « tous sont devenus ivres »[1].
Les premières familles de colons s'y installent en 1624. Le fort de La Nouvelle-Amsterdam devient un comptoir de troc des fourrures avec les Amérindiens. La colonie, dirigée par les financiers de la West-Indische Compagnie (WIC), n’a pas laissé beaucoup de témoignages sur la vie et les mœurs des Amérindiens lors des premiers contacts. Les Hollandais puis les Anglais font alliance avec la confédération iroquoise pour détourner le commerce des fourrures du St Laurent vers leurs comptoirs de l’Hudson. Les Iroquois ne les laissent pas entrer sur leurs territoires. Les descriptions hollandaises ou anglaises de leurs modes de vie sont rarissimes et centrées sur le commerce.
Comme dans les autres colonies américaines du début du 17ème siècle, les colons Hollandais brassent de la bière dès les premières implantations pour les mêmes raisons : se procurer une boisson fermentée saine. En fait, le maïs est utilisé dès le début de la colonisation anglaise pour le brassage, tant à Jamestown qu'à Plymouth. Les récoltes d'orge étaient souvent mauvaises et le coût de l'importation prohibitif, bien que les premiers colons hollandais dans ce qui est aujourd'hui New York et le Delaware aient eu plus de succès en brassant quelque chose qui ressemble à une bière européenne, avec du houblon et de l'orge maltée. En 1612, Adrian block et Hans Christiansen créent la première brasserie commerciale sur le continent nord-américain à Niew-Amsterdam sur un emplacement situé sur ce qui est maintenant Lower Manhattan. En 1634 et 1640, des brasseries similaires voient le jour à Québec[2].
Les Anglais sur les côtes de Caroline du Nord au 16ème siècle.
En 1497, John (Jean) Cabot se rend à terre sur les îles de Cap-Breton et de Terre-Neuve, peut-être dans la péninsule de Bonavista. Puis il explore la côte vers le sud sans rencontrer d'indigènes ni même se rendre à terre. John Cabot disparaît en mer durant son troisième voyage parti de Bristol en 1498. Les expéditions anglaises sont suspendues pour un temps.
Les projets de colonisation reprennent en 1584 sous le patronage de Walter Raleigh et vise la Floride plus ou moins contrôlée par les Espagnols. La flottille mouille le 5 juillet 1584 sur la côte Nord de la Floride à Roanoke, une île de l'archipel côtier des Outer Banks qui mesure environ trente sur dix kilomètres. La colonie de Roanoke a essayé de brasser avec du maïs dès 1584, ce qui signifie que l'on était déjà conscient qu'il serait problématique de ne compter que sur l'orge. Les deux capitaines Barlowe et Amadas explorent la région, établissent un camp militaire, s’assurent que des Européens puissent y vivre, et ramènent en Angleterre deux Indiens algonquiens de la tribu des Powhatans[3].
En mai 1587, trois navires partent d’Angleterre pour fonder une colonie de peuplement : parmi les 110 colons, des fermiers et des artisans et 18 femmes. John White, qui avait vécu dans la première colonie de Roanoke, est nommé chef de l'expédition et gouverneur de la future colonie. La colonie s'établit dans la baie de Chesapeake jugée plus appropriée que Roanoke et est évacuée en 1586. A terre, Thomas Harriot (cartographe, mathématicien et physicien[4]) décrit tout ce qu’il voit et John White dessine des aquarelles. A Briefe and True Report of the New Found Land of Virginia... est publié en 1588, puis de nouveau en 1590 enrichi des aquarelles de White. L’ensemble constitue un témoignage exceptionnel sur la vie des Amérindiens Secotan[5].
Dès les premiers contacts, les colons anglais font connaissance avec les trois principales plantes amylacées des Amérindiens : le maïs, la patate douce et le manioc. Les Amérindiens en font des galettes que les colons associent à du pain et des soupes épaisses qui ne pouvaient que fermenter. Mais là encore, la frontière entre bière liquide et soupe fermentée n’est pas familière aux colons.
« Pagatowr, une sorte de graine appelée ainsi par les habitants ; aux Antilles, elle est appelée Mayze : les Anglais l'appellent Blé de Guinée ou Blé de Turquie, selon les noms des pays d'où elle a été apportée. La graine est à peu près de la taille de notre pois ordinaire anglais, et n'est pas très différente de forme et d'allure, mais elle est de différentes couleurs : certaines blanches, d'autres rouges, d'autres jaunes, et d'autres bleues. Tous donnent un liquide très blanc et très doux : utilisé selon son espèce, il fait un très bon pain. Nous en avons fait du malt dans le pays, dont on a brassé de l'ale aussi bonne que l'on pouvait désirer. De même, avec l'aide du houblon, on peut aussi en faire une bonne bière. C'est une graine de grande croissance merveilleuse ; de mille, quinze cents et quelque deux mille fois. Il y a trois sortes, dont deux sont mûres en onze ou douze semaines au plus, quelquefois en dix, après le temps qu'elles sont plantées, et sont alors d'une hauteur en tige d'environ six ou sept pieds. L'autre sorte est mûre en quatorze jours, et a environ dix pieds de haut ; les tiges portent parfois quatre têtes, parfois trois, parfois une ou deux, et chaque tête contient six ou seize cents graines, à quelques détails près. De ces graines, outre le pain, les habitants font des victuailles en les grillant, en les faisant bouillir entières jusqu'à ce qu'elles soient décomposées, ou en mélangeant la farine avec de l'eau pour en faire une bouillie. » (Hariot Thomas 1585, 17-18).
Donc pas de bière de maïs brassée par les Indiens selon le rapport de Thomas Harriot, du moins sous l’apparence d’une boisson liquide !
La situation est la même avec les utilisations de la patate douce :
« Tsinaw, une sorte de racine très semblable à celle que l'on appelle en Angleterre racine de Chine [ginseng], apportée des Indes orientales. Nous n’en savons rien de contraire, mais nous pensons qu'elle est de la même espèce. Ces racines poussent beaucoup ensemble en grandes grappes et donnent naissance à une tige d'abricot, mais la feuille a une forme très différente ; qui, étant soutenue par les arbres sur lesquels elle pousse le plus, atteindra ou grimpera jusqu'au sommet du plus haut. De ces racines, tant qu'elles sont nouvelles ou fraîches, hachées en petits morceaux et écrasées, est filtrée avec de l'eau un jus qui fait du pain, et aussi, une fois bouillie, un très bon brouet à la manière d'une gelée, et son goût est bien meilleur si elle est tempérée avec de l'huile. Cette Tsinaw n'est pas de la sorte que certains ont introduit en Angleterre comme la racine de Chine, car elle a été découverte depuis, et elle est utilisée comme il est dit ci-dessus ; mais celle qui a été introduite ici n'est pas encore connue, ni par nous ni par les habitants, pour servir à quelque chose ; bien que les racines soient très semblables dans leur forme. »
La situation est un peu plus claire avec le manioc. La confection de galettes aigries avec de la farine de manioc laisse une possibilité de fermentations alcoolique et lactique quand ces mêmes galettes sont trempées dans de l’eau :
« Coscúshaw, quelques-uns de nos compagnons l'ont pris pour être cette sorte de racine que les Espagnols des Antilles appellent Cassavy [manioc], et c'est ainsi que beaucoup l'ont appelée : elle pousse dans les mares très boueuses et les terrains humides. Préparée à la manière du pays, elle fait un bon pain, et aussi un bon brouet, et est très appréciée des habitants. Le jus de cette racine est un poison, et c'est pourquoi il faut prendre garde avant d'en faire quoi que ce soit : ou bien les racines doivent être d'abord coupées en tranches et séchées au soleil, ou au feu, et puis étant pilées en farine, elles feront du bon pain. Ou bien, tandis qu'elles sont vertes, elles doivent être épluchées, coupées en morceaux et écrasées ; les galettes de ces mêmes racines placées près ou au-dessus du feu jusqu'à ce qu'elles deviennent aigrelettes, et alors, étant bien pilées à nouveau, on peut en faire du pain ou du brouet de très bon goût et de très bonne qualité. »[6]
L’existence des bières amérindiennes précédant l’arrivée des colons anglais sur les côtes de Caroline à partir de 1584 n’est pas prouvée. Il est en revanche certain que les colons ont immédiatement brassé de la bière avec du maïs, du manioc ou de la patate douce. Ils ont rapidement appris à faire germer le maïs pour obtenir du malt et brasser une sorte de bière hybride amérindienne. Une bière à base de manioc ou de patate douce nécessite des méthodes de brassage différentes, soit en mâchant une pâte cuite, soit en permettant une fermentation acidulée, les deux donnant des bières un peu éloignées des goûts européens de l'époque. Si elles ont été brassées lors des premières implantations européennes, elles n'ont pas fait l'objet d'une tradition brassicole durable.
[1] Cherrington 1925, 3. Nom corrompu par les Anglais en Manhattan.
[2] Ferland 2005, 33.
[3] Deux chefs Croatoan, Manteo et Wanchese. https://en.wikipedia.org/wiki/Secotan#Amadas_and_Barlowe,_Secotans_and_Neiosioke
https://fr.wikipedia.org/wiki/Colonie_de_Roanoke
David Beers Quinn (1985), Set fair for Roanoke : voyages and colonies, 1584-1606, University of North Carolina Press. https://archive.org/details/setfairforroanok00quin
[4] Thomas Harriot (1560-1621) est un personnage étonnant. Il apprend l’algonquin. En 1588, il met au point une grammaire de l’algonquin, dont il ne subsiste que quelques feuillets. Astronome, il observe la Lune quelques mois avant Galilée. Mathématicien, il poursuit les travaux de Viète sur l’algèbre.
[5] Aquarelles avec comparaison entre les originaux de John White et la version gravée noir et blanc de Théodore De Bry (1590) http://www.virtualjamestown.org/images/white_debry_html/jamestown.html
[6] Pour être complet, Harriot décrit aussi deux sortes de vigne et le vin qu’on peut en tirer : “Il y a deux sortes de raisins que le sol produit naturellement : l'un est petit et aigre, de la grosseur ordinaire des nôtres en Angleterre, l'autre beaucoup plus gros et d'une douceur succulente. Si on les plante et les cultive comme il faut, on peut en tirer une grande variété de vins.” http://xroads.virginia.edu/~Hyper/HARIOT/1590-1.html