Le mabi, bière de patate douce des Indiens CaribesArticle 2 sur 16 Mabi et boissons non fermentées de patate douce

 Origine et domestication de la Patate douce.

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La patate douce (Ipomoea batatas) entre dans la famille des Convolvulacées. Son origine géographique englobe l'Amérique centrale et la frange septentrionale de l'Amérique du sud (de la Colombie jusqu'au delta de l'Amazone). Cette vaste zone coïncide avec le plus grand nombre d'espèces et variétés recensées, pas moins de 500. La relative imprécision géographique s'explique par l'absence de spécimens sauvages retrouvés à ce jour. Elle empêche les paléo-botanistes de localiser dans le temps et l'espace le passage aux variétés domestiques de la patate douce.

Pour compliquer le tableau, ses plus anciennes traces, datées de 2000 ans avant n. ère, ont été découvertes hors de sa région d'origine supposée (site de Ventanilla, vallée côtière de Chilon au Pérou) où elles voisinent avec des vestiges de pomme de terre et d'achira. La Patate douce ne doit pas être confondue avec la pomme de terre (Solanum tuberosum de la famille des Solanacées) domestiquée sur les hauts-plateaux de la Cordillère de Andes (lac Titicaca) il y a 4500 ans.

Pour les patates douces, la phase d'appropriation humaine dure semble-t-il longtemps, jusqu'à leur véritable domestication. Le développement de l'agriculture tropicale en zone forestière humide (basses-terres amazoniennes, Guyanes) remonte à 4500 ans. Les premiers complexes agricoles amérindiens (villages implantés le long des rivières, pêche, horticulture de plantes vivrières et de tubercules, hors le manioc) reposent sur les patates et les ignames.

Un second complexe agricole et culturel répand le manioc, la poterie et la culture sur champs humides surélevés. Il concurrence le premier (meilleure productivité en amidon du manioc) et s'y superpose en venant enrichir la panoplie des tubercules vivriers[1]. Les maniocs ne font disparaitre ni les patates douces ni les ignames. Leur adoption et leur diffusion spécialisent l'utilisation technique et sociale de chaque famille de tubercules. On retrouve dans ces mêmes zones des bières de manioc à côté des bières de patate douce.

La domestication des tubercules en deux vagues (hypothèse étudiée par les spécialistes) aurait pour conséquence deux étapes historiques dans la brasserie amérindienne des peuples habitant les basses-terres tropicales. Les bières de patates seraient plus anciennes (vers -2000 ?), du moins en Amazonie et dans les Guyanes. Les bières de manioc seraient apparues plus tard avec l'expansion des complexes culturels propagateurs du manioc et de la poterie. Ceci expliquerait que la patate douce soit restée un ingrédient du brassage des bières de manioc et que les bières de patate douce possèdent encore au 16ème siècle un spectre d'usages sociaux beaucoup plus large que les bières de manioc au sein des peuples amérindiens.

La patate douce est introduite en Océanie vers 1500 avant notre ère. Elle aurait traversé le Pacifique vers l'ouest, empruntant les embarcations sud-américaines, puis polynésiennes, ou voyageant avec les oiseaux migrateurs pour gagner graduellement toutes les îles du Pacifique. Nous étudierons ailleurs son utilisation pour brasser de la bière parmi les peuples du Pacifique.

La patate douce joue un rôle central dans les cultures amérindiennes d'Amérique centrale et d'Amérique du sud (nord-ouest). C'est un aliment, la source de simples décoctions, de boissons fermentées, un remède, la boisson de certaines offrandes spécifiques aux esprits. L'arrivée des Espagnols ne changent pas fondamentalement cette répartition géographique. La culture de la pomme de terre reste confinée aux terres indiennes péruvienne et chilienne, la culture de la patate douce cohabite avec celle du manioc partout ailleurs.

Ces trois trésors alimentaires domestiqués, cultivés, améliorés, honorés par les peuples amérindiens depuis des millénaires seront pillés, comme le maïs, dès le 16ème siècle par les Espagnols et les Portugais pour faire prospérer leurs colonies africaines, asiatiques et nord-américaines. Avant de contribuer à l'équilibre alimentaire des nations européennes. Pour les en remercier, les mêmes pilleurs et les cours européennes qui finançaient leurs expéditions décidèrent leurs génocides.

 


[1] O'Brien Patricia 1972, The Sweet Potato: Its Origin and Dispersal, American Anthropologist 74-3, 343-344.

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