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Mabi et fin de puberté pour les filles Caribes.
Les premières règles déclenchent les épreuves et cérémonies qui marquent pour la jeune fille son passage au statut de femme pouvant se marier, participer aux fêtes collectives, boire de la bière et interroger le chamane sur son avenir. Un jeune sévère d'un mois attend la jeune fille, couvée par sa mère qui la conforte en lui apportant patate et bière de patate. Dans ce contexte si particulier, la bière de patate acquiert des propriétés médicinales (nourrir pendant le jeûne) et purifiantes. Le corps jeûne, l'esprit se purifie.
Là encore, l'Anonyme de Carpentras décrit en 1628 de la manière la plus précise et vivante le déroulement du passage au statut de femme, quand les autres témoignages de l'époque taisent ou ignorent cette humanité des soi-disant "sauvages" :
« Lorsqu'un père ou une mère commencent à s'apercevoir que leur fille a ses purgations, ils invitent quelques habitants (des principaux du village) qui se rendent dans la cabane du père de la fille, en présence desquels on l'emmène, puis on la peint toute de rouge et après on lui rase tous ses cheveux. Cela fait, on la fait asseoir sur une grande pierre plate qu'ils nomment tebou, et puis on lui ceint le dessous des aisselles avec un fil de coton comme aussi on lui lie les doigts de pied avec un autre semblable fil, et en cette sorte la mette dans un lit de coton [hamac] préparé pour cette affaire, tout contre la pierre susdite, lequel est pendu de la hauteur d'un grand homme, à cette fin qu'elle n'en puisse descendre sans aide, et puis on lui baille une poignée de coton pour la nécessité de son mal.
Cela fait, on commence à caouyner [partager la bière], cependant que la fille est prisonnière de son lit où elle doit demeurer quatre jours entiers sans manger ni boire, jusqu'au cinquième, encore près du soleil couchant, qu'alors sa mère lui apporte du vin chaud fait de patate, avec une patate cuite, et pendant les cinq premiers jours, environ huit heures du matin, sa mère la fait sortir pour la laver, et pour ce faire la fait asseoir sur ladite pierre, et puis lui vide deux grands pleins coys d'eau sur la tête, et incontinent on la remet dans son lit. Et au cinquième jour, après qu'elle a mangé, on lui abaisse son lit selon l'ordinaire, et puis elle jeûne un moins durant, dans lequel elle ne mange chaque jour que la largueur deux fois la paume de la main d'un milieu d'une cassave, et boit environ une chopine de vin [de patate ?], et pendant ce temps de jeûne, si elle a envie de contenter nature, il faut qu'elle attende qu'il soit nuit, afin que personne ne la voie sortir, ce qu'elle n'ose encore faire par la porte ordinaire, mais elle passe par où avons dit que Chemin passe lorsqu'il s'en vient. » (Anonyme de Carpentras, 1618-1620, éd. Moreau 2002, 195-196).
Le vin chaud de patate est la bière écumante en pleine fermentation. Elle semble bouillir. Du reste, la fermentation est fortement calorique. Un mois de jeûne pour une jeune fille affaiblie par ses premières règles est une terrible épreuve physique et mentale. Après un mois, la jeune fille est admise dans le cercle des adultes. Sa réintégration sociale est également très ritualisée :
« Au bout d'un mois le père fait un caouynage [partie de bière], où sont invités la plupart de ceux de l'île auxquels, assemblés sous la grande halle, on apporte tous les bords des cassaves qu'ils prennent au village. Et puis on emmène la fille, qui est fort maigre et exténuée, laquelle on peint de rouge par tout le corps, et puis on la découpe en losange [avec une teinture] depuis la plante des pieds jusqu'aux bouts des épaules. Cela fait, on lui donne à manger et à boire tant qu'elle veut, et est libre dorénavant de se marier et d'aller au caouynages, et de s'y enivrer, ce qu'elle n'eût osé faire auparavant, et au bout de huit ou six jours après l'on fait un autre caouiynage, où l'on y barbouille le visage de la fille, qui est par ce moyen rendue libre de faire tout ce que les femmes mariées peuvent faire, et se trouver aux assemblés où l'on fait venir Chemin, et peut l'interroger sur ce qu'il lui plaira. » (Anonyme de Carpentras, 1618-1620, éd. Moreau 2002, 196-197).